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Mon visage est encore chaud, et mon souffle trop rapide. Je décide d'aller au champ de tir pour dompter ma colère. J'ai remarqué qu'il n'y a que la haine et l'injustice qui me permettent de me dépasser, d'être réellement efficace dans les activités physique. Bien que tirer demande plus de la concentration qu'autre chose, je refuse de faire quoi que ce soit d'autre pour canaliser mes émotions.

Une fois que j'y suis, je jette mon sac sur un banc et fouille à l'intérieur à la recherche d'un paquet de munitions en plastique. J'en ai toujours sur moi, au cas où j'aimerai m'entraîner après la fin des cours. Le champ est presque désert, il n'y a que trois ou quatre lycéens qui tirent avec leurs armes, mais ils ne prêtent pas attention à moi.

Je sors mon pistolet de mon holster, j'effectue mon contrôle personnel de sécurité, j'approvisionne le magasin, chambre une cartouche ... J'inspire un bon coup, vide mon esprit, et je suis fin prête à tirer pour au moins deux heures. J'ai l'impression d'être dans un autre monde, d'être déconnectée de la réalité. Tirer me fait presque le même effet que dessiner. Presque. Le temps passe, et ma rage diminue peu à peu. Les balles qui détonnent dans l'air vrillent mes tympans, mais je continue, encore et encore. A la fin, mes bras et mes doigts protestent. Je décide de m'arrêter, car le soleil s'est couché et qu'il n'y a plus personne dans le champ de tir.

Je vais dans la cour et franchit le portail pour quitter l'enceinte. Les réverbères éclairent les rues pleines de rouges qui rentrent du travail, qui patrouillent ou qui font leur footing. Un écran extérieur diffuse une photo d'une femme rouge qui semble avoir quarante ans, en précisant qu'elle est recherchée pour avoir trahi la région. Une récompense est donnée à toute personne détenant des informations sur elle. Sûrement de la nourriture, ou un peu d'argent.

En passant devant un supermarché, mon ventre gargouille. Ma mère ne m'a donné que du pain pour ce midi, et j'ai si faim que je pourrais manger n'importe quoi. Je fini par m'éloigner de la vitrine au bout de cinq minutes, les nerfs à vif. Je n'ai pas d'argent sur moi.

Après l'espèce de dispute que j'ai eue avec ma mère la veille, je n'ai pas vraiment envie de rentrer tout de suite. Je décide de me balader un peu. J'arpente les rues de long en large, passe devant l'ancienne cathédrale Sainte-Croix, trottine près des gratte-ciels ... Je me fais la réflexion que si j'avais un calepin et un crayon, je me serais volontiers posée pour reproduire quelque chose. A un moment donné, tandis que je traverse la route d'une rue commerçante laissée à l'abandon, un bruit m'arrête net. Je tends l'oreille, et je parviens à entendre des bribes d'une conversation venir d'une boutique de chaussures délaissée, à moins de deux mètres de moi. Je réalise que je ne suis pas toute seule dans la rue.

- ... Bientôt falloir rentrer ... Le couvre-feu va résonner ... Dans quelques heures ... Les rougeauds vont nous buter si ils ...

Les derniers mots me choquent tellement que je recule, et trébuche sans le vouloir sur la chaussée. Un frisson d'horreur me secoue.

- Wen ! chuchote la même voix. C'était quoi ça ?

- De quoi tu parles ?

- Attends, t'as rien entendu ?

Je pose une main sur mes lèvres, pour m'empêcher de crier.

- Tu es paranoïaque. Arrêtes de sursauter pour le moindre bruit.

J'entends quelqu'un soupirer.

- On sait jamais ... Je vais quand même faire un tour d'environ. Restes là, OK ?

Je me relève dare-dare. Le cœur battant à cent à l'heure, j'ai à peine le temps de sortir mon pistolet que la porte de la boutique s'écarte dans un chuintement. Un garçon sort, m'aperçoit, et se stoppe net. Je pointe sans hésiter le canon de mon arme en direction de ses yeux bleus éclairés par la lueur de la lune.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant