97

322 34 7
                                    

Sur ces mots, j'éteins rageusement ma lampe torche et je cours droit devant moi. Plusieurs fois, je me prends le mur en pleine face, je trébuche, je tombe ... Mais je continue d'avancer. Une fois que je retrouve l'endroit où nous avions laissés nos sacs à dos, j'allume ma lampe torche et je fouille rageusement dans nos affaires pour sortir mon carnet de croquis et mon crayon. Là, je commence à noircir une page, sans réellement prêter attention à ce que j'esquisse. J'ai du mal à calmer mon rythme cardiaque.

Keo m'appelle quelques mètres plus loin. J'éteins la lampe pour qu'il ne me voie pas et me recroqueville contre le mur. Sauf que ça ne sert à rien, puisqu'il me finit par me retrouver. Il tâtonne longtemps les alentours avant de palper le haut de ma tête.

- Neela ?

Je ne réponds pas. Je l'entends s'accroupir près de moi, et poser ses doigts sur mes mains. Il attrape ma lampe torche, et rallume la lumière pour nous éclairer tous les deux. Le garçon me regarde un petit sans trop savoir quoi dire. Ne pouvant soutenir son regard azur, je baisse les yeux sur la page que je viens de remplir à coups de crayons. Je ne sais même pas ce que j'ai voulu reproduire.

- Eh, souffle Keo tandis que j'arrache le papier pour venir l'écraser entre mes mains. Regarde-moi.

Je lève la tête à contrecœur. Bizarrement, il n'a pas l'air en colère contre moi, pas plus que je n'ai l'air de lui faire pitié. Non, il est là à m'observer patiemment. C'en est presque déconcertant.

- Excuse-moi, bredouillé-je en fourrant mes mains dans les poches de l'imperméable. Je ne voulais pas m'énerver comme ça. C'est juste que ... Je commence à en avoir marre des gens qui me disent quoi faire, sous prétexte que je suis « plus fragile » que les autres.

J'ai mimé des guillemets rageurs à « plus fragile ». Je repense à toutes ces fois où Laslo m'a défini comme telle, et mon sang se met à bouillonner dans mes veines. Et dire qu'il pensait me complimenter, ainsi. Pathétique. Keo lève les yeux au ciel et me lance :

- Je sais pas comment t'en es venue à penser que je te prends pour une faible, mais c'est faux.

- Ne me mens pas, je réponds. Les autres m'ont rabâché avec ça toute ma vie, alors je sais que je le suis.

Il lâche un bruyant soupir avant de s'asseoir à côté de moi et de replier ses jambes devant lui.

- Tu me gonfles avec ça. Neela, tu veux vraiment savoir qui sont les faibles dans l'histoire ? Je vais te la faire courte : il s'agit des rouges et des bleus qui se font laver le cerveau par Roudaut. Le jour où tu comprendras que ta prise de conscience est une force, tout sera plus facile pour toi. J'en suis sûr.

Je hausse les épaules.

- Je ne sais pas, je suis tellement perdue. J'ai l'impression que tout ce qu'il m'arrive me dépasse. Maman est morte, Laslo me trahit, je m'allie avec toi alors que nous sommes censés être ennemis et maintenant ... La région toute entière veut notre peau. J'en ai marre. Tout ce que je voudrais, c'est faire une pause. Là, tout de suite.

- Je te comprends. Je suis autant fatigué que toi, Neela. Physiquement et mentalement. Mais pour le moment il faut qu'on sache où aller, et après on pourra se soucier de tout le reste. La sécurité prime.

- Je ne veux pas quitter la région, dis-je faiblement.

Pendant qu'il réfléchit, Keo baisse les yeux et se passe la langue sur la lèvre inférieure. Ensuite, il pose la lampe par terre pour venir me prendre les mains. Le faisceau de lumière se retrouve dirigé vers le mur en face. J'aperçois difficilement le visage du garçon dans la pénombre.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant