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Il ne nous faut pas beaucoup de temps pour arriver à ce qu'était autrefois la Porte Bannier, à peine une heure de marche. Grâce à une trappe dissimulée sur le sol en gravats, nous descendons dans les tréfonds d'Orléans. Lampe à la main, je balaye les lieux à l'aide du faisceau lumineux. Nos pieds foulent le sol inégal d'une manière presque synchronisée. Le bruit de nos semelles se répercute sur les murs rocheux de la cavité. Quand à nos vêtements, ils sont tellement trempés que l'eau qu'ils exsudent forme de petites flaques sur le sol.

- Fais attention, chuchoté-je à Keo. Nous pourrions croiser des incolores, par ici.

- Je sais, me répond-il sèchement.

Ses sourcils se sont soudainement froncés, et ses muscles sont contractés. Probablement parce que j'ai évoqué les incolores. J'aimerai assouvir ma curiosité et lui demander une bonne fois pour toutes pourquoi ces pacifistes le révulsent tant, mais je sais que ce n'est pas le moment. Je ravale cette question qui brûle mes lèvres et je m'efforce de mettre un pied devant l'autre.

- Et si on s'arrêtait ici ? me dit l'adolescent au bout d'un moment. On a marchés comme des fous, mieux vaut se reposer un peu.

- Euh, mais il est seulement neuf heures du matin ...

- Peut-être, mais regarde comme tu trembles ! Allez, assieds-toi.

- Je t'assure que je vais bien. Et puis, si des incolores nous tombent dessus ...

Dans la lueur de ma lampe torche, je vois Keo lever les yeux au ciel.

- Déstresse. On aura pas affaire à des soldats armés jusqu'aux dents hein, juste à des petits hippies en guenilles.

Je lâche un soupir et m'assieds à contrecœur, dos au mur. Nous posons nos sac à dos par terre pour que Keo puisse enlever sa veste, l'essorer de ses deux mains, puis me l'enfiler par-dessus le mien. Je fronce les sourcils en le regardant fouiller dans un sac de vivres. Quelque chose dans le comportement du bleu me dit que celui-ci me cache quelque chose. Pourquoi son regard est fuyant lorsque je pose mes yeux sur lui ? Pourquoi prend-il autant soin de moi, sachant que je ne suis personne pour lui, et inversement ? Pourquoi ...

- Eteins ta lampe ! me chuchote soudainement Keo en se redressant d'un coup.

Tous les sens en alerte, il bondit sur ses pieds et sort son fusil, tous les sens en alerte. Je ne me fait pas prier, et je fais ce qu'il me dit avant de le rejoindre à mon tour.

- J'ai entendu un bruit, m'explique-t-il à l'oreille. Reste derrière moi.

Cette habitude qu'il a de vouloir me mettre à l'écart du moindre danger, aussi infime soit-il, me fait rappeler Laslo. Et ça m'agace, parce que je n'aime pas être prise pour une petite chose fragile, qui est incapable de se débrouiller seule. Mon premier réflexe serait de lancer une réplique cinglante, mais pourtant, je me contente de serrer les poings et de faire ce qu'il me demande.

Nous évoluons dans le noir, en essayant d'être le plus discrets possible. Sans résultat. Pour ne pas le perdre, j'enroule mes doigts autour du poignet libre de Keo. De mon autre main, je sors le pistolet de son étui, puis je fais passer mon index sur la queue de détente, sans le presser. Après avoir passé autant de temps dehors sous la pluie, la surface de l'arme sous la pulpe de mes doigts est glacé.

Et puis soudain, sans crier gare, une lourde masse bondit sur mon dos, me faisant trébucher contre Keo. Deux bras s'enroulent autour de mes épaules, et deux mains chaudes tentent de m'étrangler. Je deviens blême, et ma respiration se bloque. Mon coéquipier agrippe les mains de mon assaillant, et les repousse de toutes ses forces. Je tousse bruyamment, et tente de reprendre mon souffle.

- Lâche-la ! s'écrie Keo en serrant ma taille de ses bras, afin de me tirer vers lui. Ou je te jure que je tire !

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant