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A l'extérieur, le soleil est en fin de vie. Ses derniers rayons fendent le ciel et me font plisser les yeux. La lueur dorée se réfléchit contre les gratte-ciels délabrés, faisant chatoyer leurs surfaces. Dans une autre vie, dans un autre monde, j'aurais ramené de la peinture et tout le matériel nécessaire afin de peindre cette voûte étincelante au-dessus de ma tête, qui n'est d'autre que le ciel. Je me serais assise à même le sol, et j'aurai mélangé plusieurs couleurs pour faire jaillir ce coucher de soleil sur une feuille de papier, à l'aide de mes pinceaux.

Malheureusement, ce n'est pas possible. Car la menace de Laslo - celle de montrer la photo qu'il a prise aux informateurs - plane au-dessus de ma tête comme une épée de Damoclès. Pour l'instant, je dois seulement me focaliser sur notre fuite.

- Où allons-nous ? dis-je en commençant à trottiner aux côtés de Keo.

Celui-ci jette un regard circulaire dans la rue presque déserte, sans vraiment chercher à garder ses yeux bleus fixés vers le sol.

- J'en sais rien, finit par dire l'adolescent.

- Euh, mais ... Je croyais que tu avais une idée ...

Je lui attrape le poignet pour qu'il s'arrête. Lorsqu'il fait volte-face, je remarque son front qui est barré par un pli, ainsi que ses sourcils qui sont froncés par la concentration. Même s'il n'y a personne aux alentours, je le pousse à l'ombre d'un bâtiment en ruine. Juste par précaution.

- Peut-être que nous pourrions aller chez mon amie Opale ? Je ne sais pas si elle a survécu à l'attaque du vendredi dernier, mais ses parents pourraient peut-être nous accueillir.

J'espère qu'il n'a pas remarqué que ma voix a tremblé lorsque j'ai sorti cette deuxième phrase.

- Hors de question, rétorque Keo en hochant négativement la tête. On va pas prendre un tel risque. Puis mieux vaut mettre le plus de distance possible avec ta maison. Au cas où les patrouilleurs auraient la merveilleuse idée de fouiner aux alentours ...

- D'accord. Mais nous devons nous dépêcher. Chaque seconde que tu passes à l'extérieur est dangereux ... Quelqu'un pourrait t'apercevoir à tout moment.

Le garçon semble en proie aux hésitations. Il fait passer sa main sur son visage foncé, sur ses cheveux frisés, puis derrière sa nuque. Au final, il la laisse retomber le long de son corps. Il se mordille un instant la lèvre inférieure, puis vient jeter son regard sur moi. Mes joues s'échauffent sans raison.

- Je sais pas si c'est une bonne idée, mais peut-être qu'on pourrait descendre dans les souterrains de la ville, suggère le bleu.

- Les souterrains ? répété-je, éberluée. Mais ... Il n'y a que les incolores qui s'y cachent !

- Raison de plus. Personne ne pensera à aller nous chercher en bas, vu qu'il y a que des incolores.

Je ne suis pas vraiment rassurée. Les incolores ne représentent peut-être pas un grand danger pour nous, ils n'en restent pas moins imprévisibles et sauvages. Pourtant, je ravale mes doutes et opine du chef. Je ne crois pas qu'il y ait une meilleure solution, de toute manière.

Il me demande quel est la manière la plus rapide et directe de descendre dans les tréfonds d'Orléans, et je lui réponds que c'est en descendant par une trappe dissimulée près de la Porte Bannier, les restes de ce qui constituait autrefois l'entrée de la ville fût un temps.

- Faut vraiment qu'on bouge, me rappelle Keo. J'ai pas envie qu'on prenne trop de temps, et qu'on soit obligé de rester à découvert une fois l'extinction des feux ...

Nous courons toute la soirée dans la ville, à en perdre haleine. Heureusement, notre fuite affolée passe pour un footing, et personne ne fait attention à nous. A vingt-deux heures passé - j'ai donné la montre de maman à Keo, pour que nous pussions avoir l'heure -, nous nous arrêtons néanmoins dans une rue déserte. Nous ne sommes plus très loin de la Porte Bannier, mais continuer maintenant, à quelques heures du couvre-feu, serait insensé.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant