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Je dois me pencher pour réussir à entendre ce qu'elle me dit.

- ... En tant que peintre, tu devrais savoir que ce n'est pas bon de détester une couleur. Tu as besoin de mélanger le bleu et le rouge pour obtenir du violet. Alors comment veux-tu en obtenir si tu renie la couleur bleue ? C'est la société qui nous fait croire que les français bleus et rouges ne peuvent ...

Elle s'arrête brusquement, probablement parce qu'elle a trop mal. Sa poitrine se soulève plus lentement, ses paupières sont lourdes. Mon cœur s'affole.

- Maman ? dis-je d'une voix tremblante.

En voyant qu'elle ne me répond pas, je la secoue plusieurs fois dans la veine tentative de la faire réagir. Lorsqu'elle le fait enfin, sa voix n'est plus qu'un souffle.

- Neela. Je t'ai donné ce prénom parce que cela signifie ...

Elle ne termine jamais sa phrase. Je la secoue à nouveau, encore et encore, mais ça ne marche plus. Ses yeux se sont éteints, et elle ne respire plus. Je continue de l'appeler, comme si j'allais réussir à la faire revenir à la vie. Je crie et lui donne de violentes claques. Je crois que je suis devenue complètement folle.

- Neela, arrêtes ça !

Je me fige. C'est seulement maintenant que je prends conscience des deux grandes mains qui sont posés sur mes épaules. Malgré leur chaleur, elles ne parviennent pas à calmer mes tremblements.

- Faut qu'on bouge Neela ... Allez viens.

Il m'aide à me remettre debout. Un étau enserre mon cœur, mais étrangement, mes larmes sont à secs. J'ai l'impression d'être en dehors de la réalité. Nous abandonnons ma mère sur la chaussée. De toute manière, il ne peut plus rien lui arriver. Keo me demande d'emprunter le chemin qui mène jusqu'à l'immeuble, et nous marchons côtes à côtes, ma main tenant celle du garçon. Arrivés à destination, nous montons les deux étages et c'est là que je réalise que j'ai oublié mes clés dans mon sac à dos tactique abandonné au lycée. Keo crochète la serrure à l'aide du couteau que je lui tends, et nous pouvons enfin entrer.

Une fois dans le salon, je me rends compte que la pièce n'est pas parfaitement bien rangée. Il y a toujours l'assiette que j'avais posé ce matin sur la table basse, mais également le gilet de ma mère sur l'accoudoir du canapé. Elle a dût oublier de le prendre avec elle. Ce vêtement froissé me fait prendre conscience que maman ne le portera plus jamais, car elle ne reviendra pas. Que sa voix ne résonnera plus dans la maison pour me dire de me dépêcher d'aller au lycée. Que je n'aurais plus à craindre de sortir en douce la nuit.

Elle n'est plus là, c'est aussi simple que ça. Il n'y a plus personne pour veiller sur moi. Et j'ai tellement mal au cœur que je tombe à genoux et ... J'explose. Je n'arrive plus à retenir ce torrent de larmes que j'ai empêchée de couler durant toute la journée. Je n'arrive plus à faire semblant d'être forte. De toute manière, je ne l'ai jamais été.

- Neela ...

J'ai honte, si honte de pleurer devant l'ennemi. Je cache mon visage à l'aide de mes mains et les larmes se déversent sur mes paumes. Ma gorge est serrée, mon cœur souffre le martyre. J'essaye de recouvrer mon sang-froid, en vain. Je n'y arrive pas. C'est trop dur. La mort de ma mère me frappe en plein fouet, et je lâche d'horribles hoquets incontrôlés.

Je me retrouve enveloppé contre deux bras vigoureux. Keo. Il me caresse les cheveux tout en me berçant doucement. Jamais personne ne s'est comporté ainsi avec moi auparavant. Je devrais me calmer, mais étrangement, je ne réussis qu'à sangloter davantage.

- Je ... commencé-je en hoquetant. Je suis ... Toute seule maintenant ... J'ai tellement mal ...

Il me serre un peu plus contre lui et me dit doucement à l'oreille :

- Non, je suis là. Je t'abandonnerai pas.

Keo ne me dit rien d'autre. Il me laisse pleurer pendant longtemps, si bien que sa chemise est trempée de mes larmes. Il ne desserre pas sa prise une seule fois, et je le remercie en silence. Petit à petit, mes pleurs s'estompent, jusqu'à disparaître complétement. Terrassée par la fatigue, je m'endors dans ses bras.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant