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- Je croyais que les forts ne restaient qu'avec les forts, dis-je en reprenant sa phrase, ce qui le fait sourire.

- Neela, arrêtes de te sous-estimer. Tu es coriace toi aussi. A ta manière.

- Je ne crois pas.

- Tu es la plus douée pour viser avec ton pistolet. Tu sais, je t'observe souvent au champ de tir ... J'essaye toujours de comprendre comment tu fais pour être aussi précise. Mais quand j'essaye de reproduire tes gestes ... Je n'y arrive jamais.

Il laisse échapper un gloussement avant de détourner ses yeux en piquant un fard. Son visage devient aussi rouge que ses yeux. Est-il gêné parce qu'il vient d'avouer qu'il m'observe à mon insu, ou parce qu'il a admis être moins fort que moi dans un domaine ? Je l'ignore.

- Si tu veux je pourrais un jour t'apprendre à tirer, demandé-je à brûle-pourpoint.

Les mots sont sortis tous seuls de ma bouche. Il paraît étonné, car il hausse rapidement les sourcils avant d'opiner du chef.

- Avec plaisir, me répond-il avec un sourire charmeur.

Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de dire ça, ce n'est pas dans mes habitudes de lui proposer de l'aide. Surtout qu'il n'en a pas besoin, c'est plutôt moi qui aurais besoin de cours supplémentaires. L'idée de me retrouver seule avec lui une nouvelle fois me met mal à l'aise. Je ne sais pas pourquoi, mais Laslo m'intimide.

Quand nous arrivons là où la motocyclette est garée, le garçon s'installe sur la selle, et moi à l'arrière. J'enroule mes bras autour de lui, et il démarre en faisant vrombir le véhicule. Mes cheveux claquent dans le vent, mon cœur palpite, je me sens vivre. Je me sens libre. La vitesse provoque en moi une décharge d'adrénaline qui irradie dans tout mon corps.

Le halo doré du soleil couchant nous aveugle lorsque le trajet s'achève. Devant mon immeuble, je descends de la motocyclette et pose mes pieds sur l'asphalte.

- Merci, dis-je à Laslo en lui gratifiant un petit sourire. Rentre bien.

- A demain Neela, me répond-il en éloignant son véhicule dans la route.

J'entre à l'intérieur du gratte-ciel et monte jusqu'au troisième étage pour rentrer chez moi. Les lumières sont éteints, ce qui veut dire que ma mère est encore au travail. Je me déchausse dans le vestibule et me rue dans ma chambre afin de me changer et de poser mon sac. J'enfile un vieil ensemble de sport que je ne revêts que pour dormir et fouille mon placard à la recherche de mon carnet de croquis. Je le trouve dissimulé dans une boite à chaussure. Même si maman ne vient que très peu dans ma chambre, je le cache toujours quelque part, juste au cas où.

Là, je m'empare d'un crayon, d'une gomme, et je me déconnecte complètement de la réalité. Je ne m'étais pas rendue compte que mon cœur était lourd à ce point, et que mon ventre était noué. Mais au fil de mes traits sur le papier, l'angoisse qui résidait en moi meurt, pour que je puisse renaître. Je m'oublie complètement. Plus rien n'a d'importance. Je ne suis plus une rouge. Je n'ai plus l'étiquette de la mauviette. Je n'ai plus besoin de prouver que je peux tuer pour avoir l'impression d'être normale.

Les minutes s'égrènent dans la pendule, et mon souffle se fait plus régulier. Cette fois-ci, je dessine un jardin verdoyant. Des papillons virevoltent autour des fleurs que j'ai fait naître, des abeilles butinent leur nectar. Au dernier moment, je décide d'esquisser une main qui fait mine de détacher la tige d'une rose. Je m'imagine être en train de la porter sous mon nez, d'humer l'odeur douceâtre qui s'en dégage et de me laisser enivrer par l'ambiance que j'ai créé. Je me sens si bien.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant