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- Keo ... dis-je d'une voix cassée.

Mes membres tremblent à ne plus s'arrêter, et mon cœur continue de marteler contre ma poitrine. Je ne sais même pas comment j'ai réussis à m'endormir dans cet endroit exigu, où le sol est à peu près aussi confortable qu'une plaque de verglas.

- Calme-toi, me dit-il en replaçant une de mes mèches rebelles derrière mon oreille. C'était juste un mauvais rêve.

- Ça avait l'air tellement réel ...

- Sauf que ça l'était pas.

Son petit sourire me fait l'effet d'un de ces baumes cicatrisants que l'infirmerie de mon lycée possède. Mes tremblements ne cessent pas, mais j'ai l'impression que les battements effrénés de mon cœur se calment peu à peu.

- Tu veux en parler ? me propose poliment le garçon.

Je hoche négativement la tête, et il se contente de me caresser doucement les cheveux. Ce contact m'apaise tellement que je manque de m'assoupir à nouveau sur le sol de la cavité. Mais je ne le fais pas.

- Keo, tu ne fais pas de cauchemars toi ?

- J'en faisais, rectifie-t-il. Quand j'étais petit.

- Que s'est-il passé pour que tu n'en fasses plus ?

Pour toute réponse, il élève son bras gauche et me montre son bracelet en fils tissé, sur lequel est inscrit son prénom. Il entreprend ensuite de me donner des explications.

- Ma mère était couturière. Un jour, pour mon neuvième anniversaire, elle m'a offert ce bracelet qu'elle avait spécialement fabriqué pour moi. Et depuis, je le tords à chaque fois que quelque chose me tracasse. Grâce à ce bout de tissu, j'ai plus peur de rien, parce que j'ai l'impression que ma mère est là avec moi. Tout le temps. C'est un peu mon porte bonheur.

Un voile de tristesse recouvre ses yeux bleus, mais il bat rapidement des paupières pour recouvrer son sang-froid. Comme moi, il n'aime pas pleurer devant les autres. Sauf que lui au moins, il sait se retenir ...

- Etait ? j'ose dire.

- Oui, était. Elle s'est faite tuée alors que j'avais douze ans. Mon père s'est fait arrêter une semaine après sa mort. J'ai plus aucune nouvelles de lui, mais j'imagine qu'il a dû être emmené dans un Centre d'Exécution.

Ses révélations me laissent pantoise. J'étais loin de me douter que Keo était orphelin, comme moi. Lui qui est tellement dynamique et optimiste ... Je pensais que sa vie était un petit peu plus radieuse que la mienne, même s'il vient lui aussi d'une région en guerre. Soudain, je le découvre sous un nouveau jour. Keo est aussi seul que je le suis, mais pourtant, il se bat pour ne pas se laisser abattre. Pour ne pas montrer aux autres que son passé le touche. Tandis que moi ? Je me morfonds à la première occasion, je baisse les bras au moindre obstacle ...

- Neela ?

Je relève les yeux vers l'adolescent. Contre toutes attentes, celui-ci enlève son bracelet de son poignet et me prend la main. Un frisson me parcourt lorsque ses doigts chaudes rencontrent derechef les miens.

- Qu'est-ce que tu fais ? m'alarmé-je.

- Tiens, prend-le. T'en as plus besoin que moi.

Il est sur le point de le glisser à mon bras lorsque je l'en empêche.

- Mais, euh ... Non. Keo, c'est ta mère qui te l'a donné. Et puis ... Tu m'as dit qu'il t'aide à tenir le cap dans les moments difficiles.

- J'en ai plus besoin hein, insiste-t-il. Avec le temps, j'ai réussi à me contrôler tout seul.

- Mais c'est le dernier souvenir de ta mère ...

- J'en ai plusieurs dans ma tête. Je te le jure. Allez, prends le Neela.

Je fronce tristement les sourcils.

- S'il te plaît, ajoute-t-il.

- Merci beaucoup, dis-je, émue.

Keo n'a plus aucune raison de tenir mon bras, maintenant qu'il y a glissé l'accessoire en fil tissé. Mais pourtant, il reste un instant à promener ses doigts sur ma peau. Cette sensation est tellement impromptue qu'elle m'électrise des pieds à la tête. Bizarrement, j'aimerai qu'il n'arrête pas. Pourtant, il le fait. Il lâche mon poignet sans crier gare, et c'est avec honte que je réalise que je viens d'apprécier le contact de Keo, un bleu, un ennemi ... Qu'est-ce qu'il m'a pris ?

- Peut-être que tu feras plus de cauchemars, maintenant.

Quand bien même ses yeux sont bleus, son regard, lui, est ardent. Rutilant. Comme s'il s'était imprégné de flammes. Je pique un fard et détourne le regard lorsque je réponds :

- Je l'espère.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant