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- Pardon ?

Je soupire bruyamment et lève la tête pour le regarder en face.

- Je m'excuse. Je n'aurais pas dû, euh ... Jeter toute la faute sur toi.

- A propos de ?

- De la mort de ma mère. C'était injuste. Ce n'est pas toi qui l'as tué, je n'aurais pas dû m'énerver contre toi.

Il détourne son regard du mien pour venir observer le mur en face.

- C'est rien. Parfois, c'est plus simple d'accuser quelqu'un au hasard pour avoir le cœur plus léger ensuite. Je connais ça.

Nous connaissons un petit moment de silence avant que je demande :

- Tu ne vas pas partir d'ici, n'est-ce pas ?

- C'est cool, tu l'as enfin compris.

- Keo, c'était une question.

Il me lance un coup d'œil étonné. Probablement parce que je viens de prononcer son prénom. C'est vrai qu'il n'est pas beaucoup sorti de mes lèvres, ces derniers temps.

- Non je partirais pas, me répond-il en s'engonçant dans le canapé. Que tu le veuilles ou non.

- Pourquoi tiens-tu tant à rester ? Tu sais, ma mère ne le saura jamais si tu décides de partir. A moins que tu crois aux fantômes ...

Il rigole à ma dernière phrase. C'est la première fois que son rire m'a l'air sincère. J'ignore pourquoi, mais je me mets à sourire à mon tour.

- Pour être honnête ? Bah ... Je sais pas trop si t'es au courant, mais je suis un bleu. Et je me trouve dans la région Rouge. J'ai aucune idée de ce qui est arrivé à mes camarades de classe, et si je sors dehors, c'est la mort assuré pour moi. J'ai nulle part où aller Neela.

Je commence à mieux comprendre pourquoi il ne me quitte plus d'une semelle. Parce qu'il a peur pour sa peau. Bizarrement, cette explication me convient plus que la précédente.

- D'accord, me contenté-je de dire. Mais alors ... Pourquoi est-ce que tu me gardes en vie ?

- Je te retourne la question.

Je lève les yeux au ciel.

- Je te l'ai déjà dit. Maman m'as dit de ne faire confiance qu'à toi. Et puis ... Comme toi, je n'ai aucune idée de ce qui est arrivé à mes camarades de classe. Je pourrais tout aussi bien sortir dehors, mais ...

Mais Laslo m'as menacé de se venger, et faible comme je suis, j'ai peur de ne pas réussir à me défendre toute seule. Voilà ce que j'aimerai lui répondre. Mais je ne le fais pas.

- ... Mais je ne te fais pas encore confiance pour te laisser tout seul dans l'appartement, prétexté-je.

- A t'entendre, on croirait que j'ai cinq ans.

Mes yeux se posent sur l'écran, qui est toujours allumé. Le son a été coupé, mais j'arrive à voir Vince Roudaut - le fils de la présidente - s'adresser à un public avec son micro, derrière son pupitre de conférence. A l'arrière-plan, le drapeau rouge et bleu avec en son centre le losange jaune flotte dans l'air. Je me demande pourquoi sa mère n'est pas avec lui.

- Et toi alors ? je demande. Pourquoi est-ce que tu ne me tues pas ?

- Je tue pas les innocents.

Je fronce les sourcils.

- Qu'est-ce qui te fait dire que je suis innocente ?

- Le fait que t'arrives pas à tirer sur les gens.

- Je sais que je suis faible ... Pas besoin de me le rappeler.

Il me regarde un petit moment, et je n'arrive pas à soutenir son regard bleuté. Je crois que je ne m'habituerai jamais à discuter normalement avec un ennemi bleu.

- Neela, t'es pas faible. Arrêtes de te dire ça.

- Tu es bien le premier à me dire ça, dis-je en secouant la tête.

- Avoir du mal à utiliser son flingue veut pas forcément dire qu'on est faible, hein. C'est la société qui nous retourne le cerveau en banalisant la violence. Je pense qu'au contraire, tuer sans raison est un acte de faiblesse.

Je lâche un soupir et l'arrête avec ma main.

- Keo, s'il te plaît ... Je n'ai pas envie d'entendre des choses comme ça.

- Un jour, continue-t-il, je réussirai à te faire ouvrir les yeux. Et tu réaliseras à quel point notre société est corrompue.

Je le fusille du regard.

- Tu sais que je pourrais te dénoncer aux autorités car tu tiens des propos injurieux ? C'est immonde ce que tu dis.

Il pouffe de rire. Je le regarde sans comprendre.

- Arrête. Tu penses mêmes pas ce que tu dis.

Je ne rajoute rien, simplement parce que je ne sais pas quoi répondre à cela. Nous faisons semblant de nous intéresser au fils d'Adélaïde Roudaut, qui continue silencieusement son monologue dans la télévision. J'ai une fascination très étrange avec ses cheveux flavescents, qui sont si bien peignés qu'il n'y a aucune mèche rebelle. Ses préparateurs ont dû être généreux sur le gel coiffant.

Je me lève du canapé au bout d'un moment. Je m'apprête à m'en aller, mais au dernier moment, je me retourne et je dis :

- Euh ... Tu peux dormir dans la chambre de ma mère, si tu veux.

- Non, me répond-il en attrapant la télécommande, c'est mieux si je reste ici. Comme ça je saurais si quelqu'un essaye d'entrer, vu que la porte d'entrée se ferme plus.

- Comme tu voudras.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant