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Une dizaine de minutes plus tard, j'arrive enfin en face d'un bâtiment vieux comme le monde. Les murs en briques se sont effrités avec le temps et l'humidité, la porte est presque défoncée et les carreaux sont brisés, mais des feuilles de cartons font office de volets. Sur la devanture, "L'atelier des Vinet" est inscrit en lettres capitales, grossièrement peint en rouge. La plupart des bâtiments de la région sont rudimentaires, mais si cet atelier est dans un état aussi pitoyable ... C'est seulement parce que les propriétaires sont très pauvres.

Je passe devant les réservoirs d'eau de pluie et une fois devant la porte, je colle une oreille contre la surface rêche. Aucun bruit, ils doivent être en train de dormir. Je me sens tout de suite stupide d'avoir fais tout ce chemin pour venir les déranger à une heure pareille, surtout que demain, nous sommes lundi ... Je reste là, pendant au moins cinq minutes, à fixer le sol en réfléchissant à ce que je devrais faire.

Oh, et puis tant pis. Maintenant que je suis là, autant toquer à la porte. Ce n'est pas comme si c'était la première fois que je faisais une chose pareille. Je n'ai pas à attendre longtemps, car après quelques coups, la porte s'ouvre en grinçant. Un visage familier surgit de l'entrebâillement. Il s'agit d'Opale, ma meilleure amie.

- Neela ? Qu'est-ce tu fais là ?

Son carré blond, d'ordinaire lustré et impeccable, donne l'impression d'avoir triplé de volume.

- Je n'arrive plus à dormir, dis-je. Est-ce que je peux entrer pour dessiner un peu ?

La jeune fille lève ses yeux rouges au ciel.

- C'est quoi ce délire ? Il fait tard, tu pouvais pas dessiner chez toi ?

- Euh, je ne sais pas, je n'ai pas réfléchis. Il fallait que je prenne l'air.

Elle a vraiment l'air agacée. Ça se comprend, elle a travaillée avec ses parents toute la journée, et elle doit vraiment être fatiguée. Surtout que nous devons aller au lycée demain. J'ouvre la bouche quelques secondes, mais je la referme aussitôt car je ne trouve rien à dire. Opale perçoit mon hésitation.

- Quoi ? me dit-elle en arquant un sourcil.

Je lâche un soupir et passe une main sur la poignée de mon pistolet. Une vieille habitude dont je n'ai pas réussi à me défaire avec le temps.

- J'ai ... J'ai fait un cauchemar.

Elle s'attend à ce que je développe davantage, mais je n'en fais rien. Elle lâche un petit rire.

- Ah, c'est tout ? C'est juste pour ça que tu es venue ?

- J'ai rêvé de notre première mission, répliqué-je afin de me donner une contenance.

- Et alors ? Faut que tu t'endurcisses un peu, cocote. Si tu viens frapper à la porte à chaque fois que t'arrive pas à pioncer ... On va pas s'en sortir.

Mes joues s'échauffent. Je sais que je suis plus faible que les autres, alors je ne comprends pas pourquoi elle se donne la peine de me le rappeler.

- C'est toi qui me dis ça ? Tu n'es pas mieux que moi, alors ne me fait pas la morale.

- Je sais, mais moi au moins, je laisse les gens dormir.

Elle ouvre la porte pour me laisser entrer, mais je ne bouge pas d'un centimètre. Je suis trop énervée pour capituler.

- Alors, elle se ramène la gonzesse ? J'ai pas toute la nuit moi.

Je fronce les sourcils, mais au bout d'un moment, je finis par avancer. J'ai compris depuis longtemps que ça ne servait à rien de se disputer avec Opale, surtout pour des futilités. Au lycée, elle est ma seule amie, tout comme je suis sa seule amie. En dehors d'elle, ma classe ne m'aime pas. Enfin, pas tout à fait. Il y a Laslo ... Mais je ne sais pas si je peux le considérer comme un ami, tellement notre relation est ambiguë.

Je rentre dans l'atelier plongé dans l'obscurité. Rodolphe et Élisabeth Vinet ne sont pas là, ils doivent sans doute dormir dans une des pièces situées à l'arrière du bâtiment. Heureusement, car je ne pense pas qu'ils auraient été très ravis d'être réveillés à vingt-deux heures. Ils m'aiment bien, mais qui peut tolérer être réveillé à une heure aussi tardive ? Si Opale prend sur elle, c'est seulement parce qu'elle a l'habitude de mes arrivées impromptues. Elle s'empare d'un briquet posé sur le comptoir, allume une bougie et vient me la rapporter.

- Merci Opale.

- Pas de quoi, lance l'adolescente en baillant. Moi, je retourne dormir. Surveille l'heure, d'accord ?

- Compte sur moi.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant