Neela

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Je ne m'attendais tellement pas à ce que l'agresseur me libère aussi vite que je vacille, avant de poser mes mains sur le mur couvert d'aspérité à ma gauche. Le mystérieux inconnu m'a serré si fort que ses doigts ont dû laisser des traces sur ma peau.

- Je vais bien Keo, dis-je entre deux halètements, il faut juste que je ...

- Keo ?

La voix vient de derrière mon dos, et elle n'appartient pas à celui que je côtoie depuis vendredi dernier. Cette voix est ténue mais grave, douce et à la fois brutale. Je me fige.

- Keo, c'est toi ? continue de tonner celui qui m'avait pourtant agressé il n'y a pas moins de dix secondes. Tu es là ?

Le concerné ne lui répond pas. Néanmoins, je le sens tout près de moi. Je n'arrive pas très bien à le voir à cause de la pénombre, mais je suis sûre que sa main est toujours agrippée à son pistolet. Prêt à faire feu au moindre dérapage.

- Je ne ferais rien, c'est promis. Je ne suis même pas armé. Je suis un incolore, et ... Je vous admire, Neela et toi !

- C'est quoi, ton nom ? demande sèchement Keo.

- Wyatt. Wyatt Brown.

Je sors ma lampe torche de la poche de mon imperméable. Ensuite, j'appuie sur l'interrupteur afin de braquer la lumière sur le prénommé Wyatt Brown. Il n'a pas menti, ses habits déchirés et sales témoignent de sa pauvreté. Ses cheveux sont hirsutes et aussi bruns que ses cheveux, et son visage est salis, couvert de terre, de poussière, ou que sais-je encore. Un éclat scintille à son annulaire : une alliance. J'en ai déjà vu dans les mains de gens mariés ... Ma mère par exemple, en avait une qu'elle n'enlevait jamais, même si mon père est mort. Qu'est-ce que cela signifie ? Que Wyatt est marié à quelqu'un ?

Mais le plus impressionnant dans tout ça reste ses iris. Un marron très clair. Je suis jalouse de ses yeux qui n'ont pas étés torturés à la naissance, qui n'ont pas eu à subir une altération. Je suis jalouse de son statut, car quand bien même est pauvre, personne n'attend rien de lui.

Il n'appartient à aucune région. Il n'est associé à aucune couleur. Il est aussi libre qu'un oiseau.

- Je suis désolé, dit Wyatt en se grattant la nuque. Je vous ai pris pour des patrouilleurs, et ... J'ai paniqué.

- Paniqué ? répète Keo, incrédule. T'as carrément essayé de tuer Neela, ouais !

L'incolore se tourne vers moi et me regarde avec un petit air contrit.

- Ce n'était pas mon intention, Neela. Je m'excuse. Je voulais seulement te mettre à terre, et non te faire du mal. Tu comprends ?

- Plus ou moins, dis-je en haussant les épaules.

Wyatt nous regarde à tour de rôle d'un drôle d'air : sourcils haussés, yeux écarquillés et visage souriant, on dirait qu'il est à la fois ravis et surpris de nous voir. De son côté, le visage de Keo trahit une légère confusion. Je le vois serrer ses mains en poings, comme j'aime tant le faire quand quelque chose m'agace ou me tracasse. Il se redresse de toute sa hauteur, jauge celui qui nous fait face d'un œil méfiant. L'espace d'un instant, je pense qu'il va en venir aux mains. Mais lorsqu'il ouvre la bouche pour asséner ses mots, je comprends qu'il est en train de baisser sa garde.

- Comment ça se fait que tu nous connais ?

Le bleu m'adresse un regard furtif. Il sait très bien la réponse à sa question, et pourtant, il la lui pose tout de même. Peut-être s'accroche-t-il au mince espoir qu'il s'est trompé.

- Vos visages sont dans toute la ville, répond Wyatt, confirmant ce que je pensais. J'étais rapidement sorti toute à l'heure. Vous savez, les incolores comme les rouges ... Tout le monde ne parle plus que de vous. Vos noms sont sur toutes les lèvres. Neela et Keo, vous incarnez l'espoir.