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Je pense à ce bleu toute la journée. Que ce soit à la pause déjeuner, en cours d'histoire, ou pendant la récréation ... Il refuse de quitter mon esprit. Si bien qu'à la fin des cours, j'ai l'impression que ma tête va exploser.

- Euh, est-ce que je peux venir dans l'atelier avec toi ? dis-je à Opale pendant que nous marchons vers l'arrêt de bus. Il faut que je me change les idées ...

L'adolescente lâche un petit rire, puis lisse son carré à l'aide de ses doigts.

- Tu sais que j'allais te le demander ? Ouais, ce serait top si tu venais nous donner un coup de pouce cocote. Mon dab croule sous les commandes. Le pauvre, il s'arrache les cheveux !

Je suis contente qu'elle ne me demande pas pourquoi j'ai la tête ailleurs, aujourd'hui. Elle a sûrement remarqué que quelque chose me tracassait, mais elle a préféré ne pas m'en parler. Opale me connaît depuis assez longtemps pour savoir que je préfère garder mes pensées pour moi.

Quand le bus arrive, nous nous installons côte à côte en silence. Mon amie joue avec son pistolet, tandis que moi, je fixe le ciel à travers la vitre. Habituellement, je ne le regarde jamais trop longtemps en journée, car la couleur bleue me donne des sueurs froides. Tout comme j'ai souvent du mal à utiliser du bleu lorsque je peins. Mais après ma rencontre avec Keo la veille, cette couleur m'obsède.

Le ciel est devenu orange quand nous descendons du véhicule pour aller à l'atelier des Vinet. En entrant dans le bâtiment détérioré, nous sommes aussitôt accueillis par Élisabeth, la mère d'Opale. Elle partage quelques traits physiques avec sa fille. Les deux ont le même visage joufflu, les mêmes pommettes roses et les mêmes cheveux blonds.

- Bonjour les enfants, vous avez passé une bonne journée ? dit-elle d'une voix forte. Je suis contente de te revoir, Neela.

Nous la saluons, puis Opale retire son sac tactique de son dos pour le fouiller. Elle sort un sachet plastique contenant la moitié de son déjeuner à la cantine : un bout de pain sec, un peu de riz et des morceaux de pommes de terre.

- Tiens maman, dit-elle en le lui tendant. Désolée, j'ai bouffé un peu de pain dans le bus ... J'avais trop faim.

La femme la regarde avec douceur. J'envie mon amie. Au moins, elle entretient une relation correcte avec ses parents. Pour ma part, c'est à peine si ma mère me remarque.

- Non Opi', tu as bien fait. D'ailleurs, tu aurais dû tout manger ce midi.

- Et vous laisser crever la dalle le soir ? s'indigne Opale en tranchant le zip de son sac. Non merci !

Élisabeth soupire, puis secoue la tête pour montrer sa désapprobation. Cela fait bien longtemps que son mari et elle ont arrêtés d'insister pour qu'Opale ne rapporte rien de la cantine. Mon amie est très têtue, mais je trouve qu'elle a raison de partager son déjeuner avec ses parents. Ils sont tellement pauvres.

Elle m'a un jour dit qu'ils avaient payés une fortune pour sa formation militaire, parce que leurs rêves étaient de devenir des soldats rouges. D'être reconnus, et gratifié par la région. Alors, ils ont tenu à ce qu'Opale ne suive pas le même parcours qu'eux. Opale m'a confié qu'elle se sentait redevable. C'est pour cette raison qu'elle dort devant la porte d'entrée chaque nuit, qu'elle aide d'arrache-pied son père à la fin des cours et qu'elle rapporte à ses parents de la nourriture, mêmes s'ils sont réticents.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant