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Heureusement pour nous, aucun patrouilleur ne nous suit. Mais je pense que même si c'était le cas, personne ne s'en soucierait. Parce que je le sais, nous avons tous vu Mehdi se faire tuer. Les autres ne pipent mot, mais la tension dans l'air est tangible. Finalement, c'est Clora qui craque au bout de vingt minutes environ. Elle sanglote bruyamment durant près d'une minute, avant de se forcer à garder les lèvres scellées. Même si elle fait de son mieux pour ne plus pleurer, ses hoquets continuent de rompre le silence.

L'atrocité de la situation me saute aux yeux. Mehdi n'était qu'un adolescent, tout comme moi. Il ne connaissait presque rien à la vie. Il n'a jamais voulu prendre les armes, se montrer violent avec qui que ce soit. C'est cette société immonde qui l'a forcé. C'est ce pays soumis aux ordres de la présidente Roudaut qui nous incite tous à perdre notre humanité pour « rentrer dans le moule ».

Ils nous font croire qu'il est normal d'être assassin.

Et anormal de prôner la paix.

Ils veulent que nous pensions qu'haïr le camp adverse nous rend plus fort.

Et que vouloir considérer les ennemis comme des êtres humains, égaux aux rouges, faits de nous des traîtres.

La mort de Mehdi repasse en boucle dans mon esprit. Au lieu de ressentir de la peur, de la tristesse ... Je ressens une rage immense. Une haine pour ma communauté comme je n'en ai jamais connue. Et pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression d'être une étrangère dans cette région qu'on appelle la France Rouge.

Malheureusement, je ne pourrais jamais oublier d'où je viens. Puisque la couleur sacrée de ma région est ancrée dans mes iris, marque indélébile de cette sois disant loyauté pour ma patrie que je suis censée faire preuve en permanence. Le rouge. La couleur de la flaque de sang dans laquelle doit macérer Mehdi à l'heure actuelle. Il est mort par ma faute. Maman est morte par ma faute. Et j'ai tuée de mes propres mains Sacha, ainsi que les deux incolores lors de l'attaque dans mon lycée.

Le monde autour de moi vacille. Est-ce une impression, ou la réalité ? Ma respiration se fait plus laborieuse, mon ventre se noue. Impossible de garder les yeux ouverts plus longtemps, et de voir le visage éploré de Clora se réfléchir dans le rétroviseur. Je m'abandonne au calme de la pénombre.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant