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Je cache mon visage de ma main, trop effrayée à l'idée que mon regard croise celui d'un soldat. Les passants s'écartent, d'autres s'arrêtent pour nous regarder. Mon cœur bat à cent à l'heure. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'on nous reconnaisse. A quelques mètres du mât d'un drapeau que le vent fait ondoyer sans ménagement, mon pied bute contre un pavé déchaussé. Mon corps bascule en avant, et je m'étale par terre dans un bruit sourd. Je grimace de douleur, et Keo s'empresse de s'arrêter pour m'aider à me relever.

- Arrêtez-vous tout de suite ! crie le patrouilleur derrière nous, qui commence ostensiblement à perdre patience. Arrêtez-vous, et sortez-moi vos cartes d'identité !

Il est encore assez loin.

- Faut qu'on se sépare maintenant, me chuchote Keo alors que je me mets debout. Perds-toi dans la foule, OK ? Si jamais t'es en danger, crie de toutes tes forces. Je serais pas loin. On se retrouve dans cinq minutes dans cette rue.

Il me pousse en avant pour m'inciter à avancer, et je prends aussitôt mes jambes à mon cou. C'est la première fois que je me retrouve séparé de Keo, et je dois admettre que ça m'angoisse un peu. Jusque-là, je n'avais pas vraiment à m'inquiéter sur ma sécurité, vu qu'il était toujours là. Mais maintenant ... Une boule commence à se former dans mon ventre.

Je déploie toute mon énergie pour prendre de la distance, et une fois que je suis sûre d'être assez loin, je m'arrête. Un immeuble en ruines se dresse à quelques mètres de moi. Elle fait tâche parmi les hauts gratte-ciels en meilleurs états - même si certains sont couverts de suie ou criblés de balles, certes - qui décorent le quartier. Je contourne le monceau de gravats laissé près du bâtiment, et je m'engouffre dans ce dernier. A en voir l'état des lieux, l'immeuble devait être détruit. Mais pour une raison que j'ignore, les travaux n'ont jamais été achevés.

Je m'adosse contre un mur, tout en resserrant les bretelles de mon sac à dos tactique. Je m'efforce de respirer doucement ... D'inspirer, d'expirer. De fixer un point dans le vide et de me concentrer sur quelque chose de positif, même si c'est difficile. Même si j'ai peur. Mes doigts serrent l'épais bandeau fort, jusqu'à en faire blanchir mes phalanges. Puis soudain, je me rappelle de deux morceaux de papiers que j'ai enfouie dans ma poche il y a quelques jours de cela.

Le portrait de maman que j'ai dessiné, puis enfin, la photo de toute ma famille au complet. Je sors cette dernière. Puis, la main sur mon cœur, je l'observe longtemps. Je m'imagine être auprès d'eux, de toutes mes forces. Si bien que j'arrive à sentir leur présence. Comme une aura qui m'entoure les épaules, qui me revigore en un instant.

Je retrouve Keo une dizaine de minutes plus tard, à l'endroit même où nous nous étions séparés. Heureusement pour nous, le patrouilleur a dû nous perdre de vue.

- On l'a échappé belle, me dit-il, l'ombre d'un sourire naissant sur son visage à moitié dissimulé par la capuche. Tiens, j'ai trouvé ça. Mets-le.

Il me tend un imperméable similaire au sien. Je l'accepte et l'enfile prestement.

- Tu l'as trouvé, ou tu l'as volé ?

Keo pouffe de rire.

- Disons, un peu des deux ... Allez viens, on doit se remettre en route.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant