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Vers quinze heures, nous sommes assez prêts de la barrière pour pouvoir abandonner notre véhicule. Nous avons quittés la ville d'Orléans depuis longtemps, et à présent, nous sommes dans une petite commune appelée Mâcon. Etant donné que personne n'a d'idées pour passer discrètement de l'autre côté de la frontière entre la France Rouge et la France Bleue, nous décidons tous de rester nous reposer un peu, le temps de réfléchir à une solution. C'est ainsi que nous nous retrouvons derrière les parois d'un bâtiment à demi effondré, avec le ciel ensoleillé pour nous servir de plafond.

Je m'assieds à côtés de mes compagnons et mange du pain trop sec, à m'en casser presque les dents. Personne n'est vraiment d'humeur à parler. Lorsque nous avons tous fini, Clora va s'isoler dans un coin, tandis que Wyatt et Keo restent avec moi.

- Il faut laisser Clora seule, dit le jeune homme barbu. Mehdi et elle se connaissaient depuis tout petit.

C'est ce que nous faisons. Nous cherchons un plan d'attaque toute la journée, en vain. Rien de très brillant ne ressort de nos discussions. Au final, nous nous mettons tous d'accord sur ce que nous allons faire demain. La barrière qui sépare la région Rouge de la région Bleue se trouve à moins trente minutes de marches.

Une fois que nous y serons, Clora et Wyatt vont s'attaquer aux gardiens pour que nous puissions sauter par-dessus la muraille, Keo et moi. Ensuite, ils nous rejoindront. Une fois dans la France Bleue, Clora cherchera une nouvelle voiture afin de nous emmener dans le repère des incolores. Ce plan-ci est assez risqué, mais nous n'avons rien trouvé d'autre. Il n'y a aucun autre moyen de passer de l'autre côté.

Le restant de la journée, je décide de dessiner Mehdi. Pour ne pas oublier ce garçon qui a donné sa vie pour nous sauver. Sur ma représentation, il est allongé sur le sable, les mains derrière la tête. Je dessine ses cheveux avec son bandana noué tout autour de sa tête, ses yeux rieurs, mais aussi son sourire angélique. Lorsque je montre le dessin à Clora, ses yeux bleus deviennent brillants.

- Mehdi ... dit-elle dans un souffle. J'espère qu'il a trouvé la paix.

- Je pense que oui, je réponds. Tu veux mon dessin ?

L'adolescente a l'air étonnée par ma proposition, mais également émue. Elle hoche la tête en souriant. J'arrache doucement la page pour le lui tendre.

- Merci Neela. Heureusement que tu dessines avec autant de précisions ... Parce que comme ça, je n'oublierai jamais à quoi il ressemble.

- Il n'y a pas de quoi.

Si je prends un plaisir immense à enchaîner les croquis sur mon cahier, les autres ne savent pas vraiment quoi faire de tout ce temps libre. Clora fixe le dessin que je lui ai donnée pendant presque toute la soirée. Wyatt quant à lui observe les étoiles de ses yeux noisettes, mais je doute qu'il les voit vraiment, tant il est pris dans ses intenses réflexions. Keo est inactif. Il est assis dans un coin, et son regard se promène sur chacun d'entre nous. Mais c'est sur moi qu'il s'attarde le plus longtemps.

Je trouve son comportement curieux. Ce n'est pas dans ses habitudes de rester en retrait ainsi, pendant plusieurs heures. Pour Clora je peux comprendre : elle vient de perdre son ami Mehdi, avec qui elle était si proche. Même chose pour Wyatt, qui connaissait le garçon. Et puis, même si ça ne fait que deux jours que je le connais, je sais qu'il est plutôt du genre à rêvasser qu'à bavarder.

Au bout d'un moment, Keo se lève pour aller s'asseoir à côté de Wyatt. Ce dernier se redresse et ensemble, ils s'échangent des messes basses en me jetant un ou deux coup d'œil discrets. Clora fait mine de les rejoindre, mais elle capte mon regard et se ravisse aussitôt. Là, il est clair qu'ils me cachent quelque chose.

Pour en avoir le cœur net, je fais semblant de m'endormir au bout de deux heures. Durant la première demi-heure, je n'entends rien. Mais je n'ai pas à attendre bien longtemps avant de percevoir leurs murmures, qu'ils peinent à étouffer.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant