Neela

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Je me détends un peu. Laslo n'est pas énervé contre moi. Et moi alors, suis-je encore énervée contre lui ? Maintenant qu'il est venu m'excuser, je ne sais plus quoi penser.

- Ce n'est pas grave, dis-je au bout d'un moment. Et moi, je ... Euh ... Je suis désolée de ne pas avoir pensé à partager mon déjeuner avec toi.

Il secoue la tête aussitôt.

- Laisses, ce n'est pas grave. C'était stupide de ma part de m'énerver pour ça.

- ... Tu ne m'en veux pas alors ? dis-je en penchant la tête.

Je le vois esquisser un petit sourire.

- Non. Je sais qu'hier je t'ai dit que j'étais déçu parce que tu m'avais trahi, mais en réalité, c'était stupide. Je crois juste que j'étais trop énervé pour réfléchir.

- Tu penses ?

- Ouais. Tu as juste mangé dans ton coin, ce n'est pas de la vraie trahison. Ce n'est pas comme si tu t'étais rangé du côté des bleus par exemple.

Mon ventre se noue. Il a prononcé cette dernière phrase sans sous-entendu, mais pourtant, je me sens mal à l'aise. Il ne sait pas que j'ai rencontré Keo. Il ne sait pas que ce dernier m'a prévenu d'une future attaque dans la ville, mais que je n'ai prévenu personne. S'il le savait, m'aurait-il considéré comme une traîtresse ? Je préfère ne même pas y penser.

- Alors ? me dit l'adolescent en me désignant la porte d'un geste de la tête. Ça te tente de venir dans ma chambre ?

Ses yeux expriment tellement d'impatience que je n'ai pas le courage de décliner son invitation. Même si j'aurai préféré rentrer chez moi, dessiner tranquillement dans mon coin, il faut que je fasse des efforts pour rester dans de bons termes avec Laslo. Après tout, il est l'une des rares personnes à m'apprécier.

L'internat se trouve à deux pâtés de maison du lycée. C'est un bâtiment en brique, en piètre état, comme tous les autres gratte-ciels aux alentours. Pour cacher des graffitis, les murs ont été grossièrement peints à certaines parties. Deux mètres plus loin, à gauche, le drapeau de la France ondule contre le vent. Et encore plus loin, les écrans extérieurs diffusent simultanément leurs vidéos de propagandes.

Nous rentrons à l'intérieur dans le silence, et enfilons les couloirs jusqu'à une porte frappé par le numéro dix-neuf. Ce n'est pas la première fois que je rentre dans la chambre de Laslo, et pourtant, ça me fait toujours aussi bizarre. Je m'assieds au bord du lit avec Laslo, puis je balaye la pièce du regard. Elle est très petite, et tout est étonnamment bien rangé. Il n'y a que deux lits, deux bureaux, ainsi que deux armoires. Il y a également une porte au fond, qui doit sûrement mener à une salle de bain.

- Des fois, j'aimerai ne pas avoir à dormir ici.

Je tourne la tête vers mon camarade de classe. Celui-ci regarde le mur d'en face d'un air las.

- Pourquoi donc ? dis-je. Au moins, tu n'as pas tes parents sur le dos.

Je me mords la langue en réalisant ce que je viens de dire. Comment est-ce que je peux me permettre de faire une remarque pareille, alors que Laslo est orphelin ?

- Excuses-moi, dis-je aussitôt. C'était maladroit. Je ne voulais pas dire ça.

Heureusement, il n'a pas l'air offensé. En fait, il esquisse même un petit sourire en secouant la tête.

- En allant chez toi hier je ... Je me suis rendu compte que ça me manquait de ne plus vivre chez mon père ou chez ma grand-mère. Avoir une propre chambre pour moi tout seul. Ce n'est pas que je n'aime pas l'internat, mais c'est juste ... Que ça me manque de ne plus avoir de maison.

Il lève les yeux vers moi et je ressens aussitôt un pincement au cœur. Sa situation est tellement plus compliquée que la mienne. Certes, il est le premier de la classe. A seulement seize ans, il est fort et intelligent. Son avenir est déjà tout tracé. Mais pour le reste ? Il n'a plus de famille.

En début d'année, j'avais demandé à Laslo pourquoi est-ce qu'il dormait dans un internat. Depuis qu'Adélaïde Roudaut est au pouvoir, la France n'est plus surpeuplée. Nous sommes toujours aussi nombreux, mais lorsque le pays était happé par la crise mondiale, beaucoup de gratte-ciels ont été construits, et à l'heure actuelle il est largement possible de trouver un appartement. L'idée que Laslo était orphelin ne m'avait pas traversé l'esprit une seconde.

Je suis tellement gênée que je ne trouve rien d'autre à dire que :

- Je te comprends.