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Je m'installe derrière la place du conducteur, et Keo me rejoint pour s'asseoir à mes côtés. Les sièges capitonnés sont agréables, presque intacts. Et pourtant, je ne m'y sens pas vraiment à l'aise. Nous restons un petit moment sans se parler, à faire semblant d'inspecter l'intérieur pour nous donner une contenance. Puis Keo attrape son sac tactique et tranche le fermoir pour fouiller parmi la nourriture. Il me tend un morceau de pain.

- Nous devons économiser nos réserves, dis-je en faisant un effort surhumain pour ignorer le gargouillement de mon ventre.

- Mange ça maintenant. On a une longue trotte qui nous attend demain, faut pas qu'on soit amorphes. Puis ce pain va devenir tout sec, de toute façon.

Il me fourre la nourriture entre mes mains, et en prend également pour lui. Je fini par céder à la tentation. C'est un vrai soulagement d'avoir quelque chose à me mettre sous la dent. Pourtant, lorsque j'ai fini, mon estomac en redemande encore. Mais je n'en reprends pas, bien sûr. Je dois me contenter d'un peu d'eau pour digérer ce pain.

- Je vais monter la garde, me dit Keo. Dors. On risque rien, par ici.

- Non, je n'y arriverai pas. Tu n'as qu'à dormir en premier.

- Hein ? Pourquoi est-ce que t'arriverai pas à dormir ?

Je lâche un soupir et pose ma tête contre le dossier du siège. Dans la pénombre, les yeux de l'adolescent ont l'air plus bleu encore. Aussi bleus que le ciel nocturne. Son regard est plongé dans le mien, il m'observe sans ciller. Je me demande ce que mes yeux rouges lui font penser.

- Je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à Laslo, je réponds en baissant la tête.

- Le gars qui nous a pris en photo tous les deux, hein ? Oublie le, il nous retrouvera pas de sitôt. T'as rien à craindre.

Je ferme mes mains en poings.

- Ce n'est pas ça. C'est juste qu'il y avait une telle douleur dans sa voix, dans ses yeux ... Il me considère comme une traîtresse désormais. Je ... Je ne sais pas pourquoi.

- Bien sûr que si, tu le sais. C'est parce que tu t'es allié à moi, un bleu. Il l'a pas supporté. C'est aussi simple que ça Neela.

- Non, ce n'est pas si simple, je réplique en relevant la tête dare-dare. Et alors, qu'est-ce que ça fait si tu es un bleu, et moi une rouge ? Si je te considère comme un être humain, et non plus comme une machine à tuer ? Ca ne lui donne pas le droit d'être en colère contre moi !

Keo me regarde sans comprendre. Ses sourcils sont haussés, sa bouche entrouverte. Il a l'air à la fois surpris et ... fier ?

- Tout ça, toute cette histoire de camps ennemis ... Je n'en peux plus. Ça en devient risible. Laslo a sombré dans la folie, seulement parce que nous faisons équipe toi et moi.

- Il devait déjà être dégénéré, s'il a essayé de te tuer la première fois qu'il m'a vu avec toi. Ce type est vraiment un psychopathe.

Je soupire pour la énième fois, et passe mes mains sur mes bras.

- Je ne crois pas, murmuré-je en relevant mes yeux vers Keo, qui n'a visiblement pas arrêté de me regarder. Je sais comment il est, Keo. Il n'est pas méchant. C'est juste que ...

- C'est juste que quoi ? m'encourage-t-il.

- ... La société lui a mis tellement d'idées dans la tête, que rien ne pourra lui faire changer d'avis. Il est incapable de penser par lui-même.

Je ne sais pourquoi, mais Keo devient hilare. Son rire résonne dans la voiture, rebondit contre les parois.

- Euh, mais qu'est-ce qu'il te prend ? m'alarmé-je

- Tu te rends compte que je t'avais dit exactement la même chose il y a encore quelques jours ? me répond-il en s'essuyant les yeux. C'est incroyable !

Vexée, je fronce les sourcils et croise les bras sous ma poitrine.

- Je ne vois pas en quoi c'est si drôle.

- Attends, tu comprends pas ?

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant