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Nous entrons dans la salle en file indienne, puis je m'assieds à côté d'Opale au fond, près de la fenêtre. Le soleil diffus altère les cheveux de mon amie, leurs donnant l'illusion d'être blancs. Le rai doré me tape à la figure, et je suis en nage en moins d'une minute. Je déboutonne le bouton de ma chemise au niveau du col, m'essuie le front gras avec ma main, puis soupire bruyamment.

- La prochaine fois, dis-je à Opale tandis qu'elle sort ses affaires, nous nous mettrons devant.

Elle hausse les épaules en s'intéressant davantage à ses fournitures qu'à moi. Les autres élèves s'installent en discutant avec leurs voisins. Certains rient à gorge déployé, se donnent des tapes, se lancent des stylos entre eux ... Lorsque le professeur franchit le seuil de la porte, le brouhaha s'estompe aussitôt.

- Bien le bonjour apprentis soldats, dit-t-il à la cantonade. Bienvenue en cours de stratégie. Aujourd'hui, nous allons reprendre là où nous nous étions arrêtés vendredi dernier.

Il entreprend de nous expliquer en détail ce que nous allons faire durant ces deux heures, à savoir, des exercices pour nous entraîner à planifier un assaut. S'il se montre aussi pointilleux, ce n'est pas pour rien. Nous allons bientôt être missionné en fin d'année, et nous devons être aussi préparés que possible pour avoir des chances de revenir indemnes. En fait, les cours de stratégies servent surtout à préparer les missions en amont.

Je balaye la salle du regard, en me demandant combien d'entre nous ne serons plus là après la mission du mois de juin. Au cours de notre première mission en octobre - celle où je suis devenue une meurtrière -, Livia Mancini et Xavy Daniel ont été tués par des bleus, et j'ai encore un peu de mal à le réaliser. Je n'étais pas amie avec eux, mais ça me fait très bizarre de me dire qu'ils ne sont plus là. Qu'ils ne reviendront jamais. La mort est censée être quelque chose de normal, la société n'arrête pas de dire que tous les rouges sont nés pour mourir sur le front. Je ne devrais donc pas penser à eux, puisqu'on nous forme à ne pas avoir peur de la mort. Mais je n'arrive pas à m'en empêcher.

Le cours passe tellement lentement que je manque de m'endormir. J'esquisse toute sorte d'animaux dans une page de mon cahier, avant de les effacer à la gomme. A un moment donné, alors qu'il y a un petit silence dans la classe, je baille sans le vouloir. Et bruyamment. Tous les élèves tournent leurs têtes vers moi.

- Mademoiselle Bakshi, est-ce que mon cours vous ennuie ?

J'ai envie de me donner une claque sur la figure. Je me redresse doucement sur ma chaise et garde les yeux rivés sur le professeur qui passe entre les rangs pour venir face à mon bureau.

- Non monsieur, dis-je.

- Si vous voulez mentir jeune fille, apprenez à le faire de manière à ce que vous restiez crédible.

Je sens mes doigts agripper le bord la table.

- Je ne mens pas.

L'homme lâche un petit rire ironique, ce qui fait également rire Madeline à la première rangée. Finalement, je regrette de ne pas lui avoir lancé ce crachat à la figure la veille.

- Levez-vous, me demande le professeur de stratégie.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant