Michel le fou

Depuis le début
                                    

« Étudiant en théologie ?

— C'est ce qui est écrit. »

Michel comprenait les soupçons de l'agent : Grandbois n'avait pas vraiment la tête de l'emploi. Grand, le regard déjà dur, la mine sombre, il ne se comparait en rien à ses camarades. Si ce n'avait été de sa carrure impressionnante, on lui aurait bien donné deux années de moins. Du reste, Daniel lui avait glissé que les théologiens n'étaient pas très populaires chez les policiers.

L'agent finit par condescendre à prendre le combiné et appeler l'inspecteur. Après avoir hoché la tête plusieurs fois, comme si son interlocutrice pouvait le voir, il raccrocha. L'agent retourna alors à ses papiers, sans dire un mot de plus. Michel supposa qu'on viendrait le chercher et alla s'asseoir.

La salle d'attente était bondée de la faune bigarrée des plaignants et des inquiets. On y observait, à petite échelle, les divisions sociales, les nantis se tenant entre eux, à distance respectueuse des réprouvés. Michel n'avait pas ce genre de délicatesse. Il cala ses larges épaules entre un homme hagard et une femme dont le maquillage avait abondamment coulé. Le type marmonnait quelque chose entre ses dents ; la femme sanglotait doucement.

« Vous avez un mouchoir ? »

Michel fit signe que non. Il attendit en vain qu'elle se lève pour en chercher un, mais elle se contenta de renifler de plus belle. « Il dit ça parce qu'il veut me prendre mon enfant ! », dit-elle à Grandbois, comme s'il connaissait déjà son histoire. C'était peut-être le cas, au fond. Les histoires se ressemblaient toutes plus ou moins. Il lui adressa un vague signe de tête, qui aurait pu suggérer de la sympathie, puis regarda de l'autre côté, espérant que son voisin serait moins bavard. Il fut déçu.

« La Madone. C'est elle qui m'a dit de venir ici. » Le type parlait à voix basse, mais en dévisageant les policiers qui passaient, comme s'ils pouvaient l'entendre à cette distance. Il ne devait pas manger à sa faim tous les jours ; sa peau semblait vouloir se glisser sous ses os. Tout à coup exaspéré, il se leva d'un bon. « C'est la Vierge qui m'a dit de venir ! Vous devez m'écouter ! »

La plupart des gens feignirent n'avoir rien entendu, alors il répéta plus fort son délire. Cette histoire-là aussi, Grandbois la connaissait par cœur. En tant que patient, il avait fréquenté bien des institutions psychiatriques ; rien ne lui inspirait la pitié comme ces êtres désemparés qui, au moment de crier leur douleur, se frottaient au spectacle surréaliste de la foule qui passait son chemin sans les voir, comme s'ils n'étaient eux-mêmes qu'une hallucination. Depuis que l'Inquisition était revenue, clamant son prêche aux heures de grande écoute, ce genre de délire s'était répandu à une vitesse surprenante.

Il insista, hurlant de plus en plus, son désespoir se muant en colère. Son brouhaha commença à impatienter les agents, et Grandbois savait ce qui viendrait ensuite : la matraque et les menottes. Pris de pitié, il se leva et se plaça face à l'homme. « Ça va, ça va, il faut attendre. Tout le monde attend, vous voyez ? »

En l'observant plus attentivement, l'homme ne semblait pas fou ; il regardait même Grandbois avec une lucidité effrayante. « S'ils ne me reçoivent pas vite, je vais peut-être changer d'avis.

— Si vous hurlez, ils vont penser que vous êtes fou, et vous ne pourrez jamais soulager votre conscience. »

L'homme regarda Michel comme s'il était le Messie : il avait deviné qu'il venait pour une confession. Grandbois sentait grandir en lui l'impression qu'il le connaissait. Il l'observa de plus près, cherchant sans y parvenir où et quand il aurait pu le rencontrer.

« Pourquoi êtes-vous venu ici ? demanda-t-il.

— Pourquoi, selon vous ? »

Pour quelle autre raison, en effet ? Le grand cœur du poste ne battait plus que pour le tueur en série que tout le monde, sans exception, avait nommé « le Vampire ». Les policiers devaient assister depuis des semaines au défilé des détraqués de la ville — et ils étaient nombreux, malgré le bûcher qui ne dérougissait pas. Les hôpitaux d'état n'avaient guère eu le choix, à une époque pas si lointaine, de laisser leurs pensionnaires filer ou mourir de faim.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant