L'Araignée espagnole

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Depuis des jours, Michel répétait les gestes que son maître lui enseignait. Au début, la lance lui semblait une arme difficile à manier, encombrante, fragile. Progressivement, il apprit à reconnaître sa redoutable simplicité. Percer, d'un seul mouvement, sans regret. C'était direct, rapide. Un coup de tête, comme la morsure d'un serpent, et c'était la mort. Puis il en apprécia une complexité qu'il n'avait d'abord pas soupçonnée. La longue hampe pouvait être tenue par le centre, pour un meilleur équilibre, mais c'était injurier l'art. Agrippée tout près du fer, la lance devenait une dague ; par l'autre extrémité, elle gagnait en portée. Sur toute sa longueur, cet échange entre précision et allonge avait sa propre valeur. Il fallait de l'exercice pour le comprendre, se l'approprier.

Au bout de deux nuits, Michel connaissait chaque mouvement, sa nature de feinte ou de mise à mort, son rôle dans le combat fictif qu'il avait appris par cœur. L'ennui le gagna de nouveau. Il trouva alors des moyens de se distraire. Il s'intéressa à son corps, son absence de fatigue, sa vitesse effrayante. Puis il s'imagina ailleurs. Sans cesser de bouger, il reprenait des débats théologiques avec ses anciens professeurs, ou conversait avec ses amis de cafés, rentrait avec l'une des filles, la vidait de son sang. Enfin, il se revit près du monastère, quand il avait frappé en vain ce démon avec cette même arme redoutable qu'il tenait maintenant. Avoir su la manier à cette époque, et l'issue aurait été bien différente.

Au bout d'une semaine, il se permit quelques modifications aux mouvements imposés. Des améliorations, des fantaisies, des expériences. Il brandissait sa lance comme un glaive, puis comme une épée, une flamberge, un espadon. À une main ou à deux, fendant l'air d'estoc et de taille. C'était une danse acrobatique, mortelle, sublime. Quand des gens vinrent pour l'admirer, il ne s'en étonna qu'à moitié.

Il eut d'abord quelques personnes, des inconnus qui lui étaient pourtant familiers. Des hommes, quelques femmes, aux habits de toutes les époques. Douze, puis cent, puis deux cents, jusqu'à remplir la pièce. Il reconnut Medina, le grand inquisiteur, dans son haubert gris couvert du tartan marqué de la rouge croix des templiers. Michel le défia du regard. L'inquisiteur, avec ses armes de chevalier, paraissait redoutable, mais Michel ne le craignait plus. Sa lance était devenue une épée plus longue que lui et dont l'acier tranchant éclairait toute la pièce. Medina ne lui accorda aucune attention. Il conférait tout au fond avec une assemblée de clercs et de prêtres. Michel eut un terrible pressentiment.

Depuis combien de temps ces gens étaient-ils là ? Des jours, on aurait dit. Ils ne s'intéressaient plus à lui et si, d'aventure, la lame de Michel effleurait l'un deux, elle passait à travers sans le blesser. Ils s'activaient maintenant, réaménageant complètement le sanctuaire de Nyoto, comme s'ils se trouvaient chez eux. Ils fixèrent aux poutres d'aciers de grosses poulies noircies par la graisse dans lesquelles ils glissèrent des chaînes.

« Arrêtez ça ! »

Michel savait que Nyoto ne goûterait pas ces libertés. Il lui en voudrait certainement de les avoir laissé faire à leur guise. Il déposa le plat de sa lame sur son épaule et s'approcha d'eux. Il passa près des chaînes qui pendaient au plafond et put voir, à leurs extrémités, de menaçantes pinces de fer munies de quatre pointes en crochet. Un grand brasero, chargé de braises vives, fut amené à son tour, et on y déposa les pinces afin sans doute de les chauffer au rouge.

« Vous n'avez pas le droit d'être ici. Partez. »

Sous les crochets, ils placèrent une table de chêne. Elle était si lourde qu'ils avaient dû s'y prendre à huit pour la déplacer. Épaisse comme un établi, munie d'étraves aux quatre coins, et affublée au centre d'une roue dentée de la taille d'un tronc d'arbre. Trois inconnus y plantèrent une manivelle et commencèrent à la manier. Répondant à ce mouvement, la surface s'inclina peu à peu, jusqu'à devenir presque verticale.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant