Venus des profondeurs

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« Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, les gars. »

Sergei regarda Lisa par-dessus son épaule. Elle avait beau être la femme de confiance de Maxime, il y avait des moments où elle lui tapait sur les nerfs.

« Lisa, il faut qu'on se débarrasse des corps, sinon l'odeur va rameuter tout le monde. »

Il n'était pas utile qu'il le lui rappelle : elle avait été la première à en émettre la remarque, quand ils s'étaient redressés au crépuscule. Elle n'avait même pas eu une pensée pour leur nouveau copain — affectueusement renommé Rapace. Elle n'avait dit qu'une seule chose : il fallait se débarrasser des corps. Les mortels ne remarqueraient sans doute rien avant plusieurs jours, mais les Bergers ne mettraient pas de temps à flairer l'odeur de la mort, même mêlée aux miasmes de la ville. Et il n'y avait que deux passages : les toits et ce puits.

« On raconte des choses à propos des souterrains de la cité, dit Lisa.

— Tu as peur des rats ?

— Des Rats, oui. »

Sergei se redressa. Lisa ne parlait pas des rongeurs. Ce qu'elle redoutait était plus gros, plus effrayant, mais moins dangereux. Parce que ce n'était qu'une légende.

« Soixante-quinze ans que je bois du sang. Soixante-quinze ans, et je n'ai jamais rencontré un seul de ces fameux Rats.

— Alors, descends, pour voir. »

Sergei regarda une nouvelle fois dans le trou, tout juste assez gros pour qu'un homme puisse s'y glisser. « Je m'inquiète davantage de l'eau courante. »

À peine entendait-on un léger clapotis, mais l'instinct de Sergei lui criait que ce boyau donnait sur un tunnel à moitié plein de flotte. Il en sentait sourdre l'haleine glacée. « Rapace, tu es passé par là ? Ho ! Rapace ! »

Rapace était occupé à la contemplation des fils électriques pendants et des toiles d'araignées. La pénombre et la simplicité avec laquelle il parvenait à la percer du regard étaient des sujets de fascination classiques pour les nouveau-nés. Mais là, ils n'avaient pas le temps. La cave était immense, et avec les motifs dansants des ombres de la plomberie et de la machinerie, il pouvait en avoir pour des nuits entières d'exploration béate.

« Rapace ! Tu es passé par là ?

— Évidemment ! dit Christophe. C'est là qu'on l'a capturé.

— On t'a rien demandé, à toi. »

Sergei avait peu de patience avec Christophe, peut-être parce qu'il était présent lorsque Grandbois lui avait cassé le dos. Il s'avança vers Rapace et le souleva du sol pour le ramener à lui.

« OK mon petit Rapace, je suis conscient que tu vis un truc unique et tout, mais là il faut qu'on jette nos déchets. Alors tu es bien entré ici par ce trou ? Est-ce qu'il y a de l'eau, dis ?

— Je sais pas. J'imagine qu'il doit y en avoir...

— Arrête Sergei, il n'a aucune idée de ce dont tu lui parles. »

Sergei lâcha Rapace qui retomba sur ses pieds et se remit à regarder partout, béat, sans une once de rancune.

« Ils étaient à peu près secs, quand on les a attrapés. Il doit y avoir moyen de passer. Qu'est-ce que tu proposes, Lisa ?

— Attendons un peu. Peut-être que Maxime viendra, ce soir. Il pourra nous dire si ce trou est sûr ou non.

— Demain, il sera trop tard. Tu le sais. On peut attendre jusqu'à minuit, pas plus. »

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant