Épilogue

53 8 5
                                    

Michel s'isola des nuits entières. Une semaine ? Il n'aurait su dire.

La soif le tenaillait au point que ses veines, minces et tendues comme des fils, lui coupaient la peau. C'était ce qu'il voulait. S'il cessait de s'alimenter, tôt ou tard, il tomberait dans une torpeur profonde, où plus rien ne pourrait l'atteindre.

La soif était comme une brûlure, mais, comme toute douleur, Michel pouvait l'ignorer, l'enfouir, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un bruit de fond, à peine plus distrayant que celui des passants de la rue Saint-Christophe.

La plupart du temps, il restait couché la nuit entière, sans remuer, caché dans son placard. Jamais il n'avait eu aussi conscience de son état de cadavre. Se laisser dépérir n'était que le cours naturel des choses.

Une nuit, il se réveilla avec une odeur féminine, chaude et gorgée de sang. Il refusa de bouger, malgré la bête qui lui ordonnait de bondir sur cette occasion de se nourrir enfin. Même quand la porte du placard s'ouvrit, et qu'Hélène retira la bâche qui le recouvrait.

Dans la pénombre, il la voyait aussi clairement que si elle avait été la lune à minuit. Hélène, quant à elle, dut se pencher sur lui pour percevoir les détails de sa déchéance. Elle glissa ses mains sur sa peau rugueuse. La chaleur de cette chair et la proximité du sang passèrent tout près de le rendre fou.

« Michel, qu'est-ce qui t'est arrivé ? »

Qu'aurait-il pu répondre ? S'il avait trouvé les mots, aurait-elle été en mesure de comprendre ?

« Veux-tu que je te nourrisse ? »

Entre elle et lui, il vit une corde de sang, toute semblable à celle que Nyoto avait échoué à rompre. Il ne répondit pas à la question toute simple qu'elle lui avait adressée. Il craignait ce qu'il dirait.

Mais rien ne pouvait la décider à partir. Cette chaîne les lierait à jamais, et elle aurait préféré mourir elle-même plutôt que de l'abandonner dans cet état. Elle sortit, juste le temps de récupérer la lancette dont elle se servait toujours pour ouvrir ses veines. Et il but, honteux de sa lâcheté.

La liqueur eut l'effet détestable qu'il craignait : il se sentait progressivement revivre. La bête lui commandait de prendre Hélène, de déchirer son corps et d'en sucer jusqu'à la dernière goutte de sang. Il se retint parce qu'il était convaincu qu'il se relèverait complètement privé de sa précieuse mélancolie. Myriam méritait mieux.

Au bout d'un moment, il se redressa. Il se mordit la langue et couvrit d'ichor la plaie au poignet d'Hélène, qui se referma aussitôt. Ce simple contact aurait été assez pour la contaminer, induire en elle les sentiments de dévotions que ressentent les mortels nourris à la veine des vampires. Mais il semblait que c'était chose faite, désormais.

Il acheva de se relever. Il se sentait léger, peut-être parce qu'il lui manquait encore plusieurs litres de sang pour retrouver son état normal. Par ses immenses fenêtres, il voyait la Cité. Celui qui avait détruit Myriam se trouvait là, quelque part. Dire qu'il avait presque choisi de le laisser s'échapper.

« Ça va mieux ? »

Michel se retourna et lui sourit. Elle ne sembla pas rassurée, alors il marcha jusqu'à la salle de bain. Là, il se regarda un long moment. Il avait réellement une tête de déterré. Peut-être celle d'un héroïnomane à un stade avancé de dépendance, un anorexique ou un cancéreux en phase terminale. Hélène le rejoignit.

« Je comprends que tu aies eu peur.

— Que t'est-il arrivé ?

— À moi ? Rien. Rien, vraiment. Je vais seulement avoir beaucoup de ménage à faire. »

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant