Du Sang dans l'eau

34 10 2
                                    

Un court instant, Grandbois eut l'impression d'être suspendu dans les airs. Il constatait, fort surpris, combien pouvait être longue une chute de quatre mètres. Il ne perdit pas cette très longue seconde à regarder s'approcher l'eau furieuse, mais à examiner l'aval de la rivière. Cent mètres plus bas, la falaise laissait place à une rive rocheuse et accidentée. L'espoir.

Puis il frappa la surface.

Son adversaire avait touché l'eau avant lui. Michel sentit son corps amortir la chute, puis disparaître dans le courant. Michel ne chercha pas à poursuivre la lutte. Ses membres se roidirent presque instantanément, et il savoura cette impression curieuse, celle de subir sa propre destruction, sans douleur, sa force bue à travers sa peau. Puis il se rendit compte que, submergé, il ne se noyait pas. La surprise l'aida à échapper à la panique, alors que la rivière le secouait comme un pantin.

Il heurta le fond. Plusieurs fois. Ses poumons vides ne lui permettaient pas de flotter. C'était un problème auquel il devait remédier, s'il voulait garder la moindre chance de salut. Mais il tournait comme un billot de bois, sans le moindre contrôle. Quand la rivière, impatiente de le briser, le jeta contre une pierre, rompant ses pauvres os en plusieurs endroits, il fut projeté dans l'air et, méprisant sa douleur, il respira aussi profondément qu'il le put avant de replonger. Cette fois, il coula encore, mais revint bientôt vers la surface, avant de couler encore. La rive approchait à une vitesse folle. Incapable de nager, Grandbois n'avait pas la moindre chance de l'atteindre. Il se laissa porter, plus impuissant que résigné.

Michel passa devant la rive. Remontant un instant à la surface, il remarqua que la rivière s'élargissait. Plus à son aise, elle devenait moins colérique, surtout moins profonde. Plutôt que d'engloutir Michel, elle le traînait sur son lit de pierres polies et limoneuses. Grandbois constata qu'il lui restait quelques forces. Embrassé par le courant, il ne pouvait pas nager, ni même ramper sur le fond, mais il pouvait imposer à son corps une position à peu près précise. Il se mit en travers du courant, les pieds vers la rive, la tête vers le centre. Le courant le poussa vers le littoral où il s'échoua et où, concentrant le peu de forces qu'il lui restait, il roula au sec. Là, il attendit que son corps se réchauffe, que ses forces lui reviennent. Il lui restait deux adversaires, en comptant Myriam et, dans son état, il serait incapable de leur opposer la moindre résistance.

Au bout d'une minute, il se rendit compte que ses forces ne reviendraient pas. Le repos, la chaleur, c'était pour les vivants. Juste pour rester mobile, son corps avait épuisé toutes ses réserves d'ichor. La teinte de sa peau alternait entre le bleu et un bleu translucide, et ses mains étaient squelettiques. À mesure que l'engourdissement disparaissait, il sentait venir une douleur conquérante, déchirante: la soif. Et il ne pouvait plus se lever, à peine ramper. Tout compte fait, il aurait mieux fait de rester dans la rivière.

Il entendit des pas précipités juste derrière lui. Ce ne pouvait être Myriam. Myriam n'aurait pas fait tant de bruit.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant