Ne viendras-tu pas cette nuit?

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Avant même d'ouvrir les yeux, Michel Grandbois savait que quelqu'un était entré chez lui.

Prêtant l'oreille, il entendit des pas. Quelqu'un marchait en rond dans la chambre à coucher, juste à côté du vaste placard où Michel se réfugiait le jour. Il aspira une bouffée d'air. Il perçu d'abord l'odeur de la forêt où il était la veille, mélange de la terre meuble qu'il avait creusée, de l'humus trempé du printemps et de la fraîcheur vive de la rivière. Ensuite, c'était les effluves du sang séché de Myriam. Enfin, un parfum clair de rose et de fumée, qu'il connaissait intimement. Hélène.

La nuit était tombée depuis quelques instants — Michel le sentait — aussi il sortit de sa cachette. Hélène était bien là, un sourire triste à ses lèvre noires.

« Bonsoir Michel. »

Il lui répondit d'un signe de tête, heureux d'avoir une source de distraction après les révélations de la veille. « Comment vont les travaux à la librairie?

— Le décorateur ne s'est jamais pointé. »

Michel demeura un moment interdit. « Je l'avais payé d'avance.

— Il prétend qu'il te remboursera. »

Ils savaient tous les deux ce que cela signifiait. Le Déluge n'avait pas digéré qu'il force la main au conseil municipal. Le décorateur avait reçu des menaces.

« Personne ne t'as trahi, Michel. J'ignore comment ils ont su qui tu avais engagé, mais nous sommes tous là. Tu étais impossible à trouver hier soir, alors nous avons commencé les travaux nous-même. Ce n'est pas de la déco professionnelle, mais... »

Michel hocha la tête. « Je suis touché. Sincèrement. »

Comment la mettre à la porte? Ses amis avaient besoin de lui, mais Myriam plus encore.

« Je vais écrire une lettre, Hélène. Si je passes vingt-quatre heures sans te donner signe de vie, tu iras la remettre en mains propres à Albert Grimaldi. Il est professeur à la faculté de génie. »

À voir la terreur apparaître au visage d'Hélène, Michel se demanda s'il ne venait pas de commettre une erreur.

« Je ferai tout ce que tu me demanderas. Mais ne viendras-tu pas cette nuit?

— Il s'est passé des choses hier. Des choses graves. Je dois réfléchir. »

Michel voyait à ses yeux qu'Hélène n'osait pas insister. La simple mention d'une lettre à remettre en cas de disparition évoquait clairement un grave danger, elle ne pouvait que le comprendre. Pourtant, elle bloquait une objection, juste à la frontière de ses lèvres.

« Il s'est passé autre chose, à la librairie?

— Les Pénitents ont remarqué nos travaux. Toute la journée, ils nous ont observé de loin. Nous avons tous très peur. C'est pour cela que je suis venue te chercher. »

Michel baissa la tête. La colère grondait déjà en lui avant qu'Hélène ne vienne, mais les Pénitents se présentait comme un objet palpable sur lequel il pourrait déverser sa rage. Et pourtant.

« Comment es-tu entrée ici?

— Par le toit. Il y a une échelle de fer dans le puits de lumière. Je n'ai eu qu'à ouvrir la fenêtre. »

Encore un problème qu'il lui faudrait résoudre. Michel se leva et attrapa son manteau, qui portait encore l'odeur de Myriam. « Allons à la librairie. J'écrirai ma lettre de là bas. »

Il empoigna au passage sa canne-épée.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant