Condoléances

48 11 1
                                    

Hélène avait passé la journée chez Michel, allant du salon à la cuisine puis encore au salon, évitant avec soin de faire tomber les gerbes de fleurs avec sa large robe. Elle avait craint une seconde que ses habits ne suscitent des chuchotements mesquins, mais elle avait sous-estimé la réserve et la tranquille hypocrisie que réclamaient les circonstances, ainsi que l'indulgence que chacun doit à la jeunesse. Du reste, elle n'était pas seule : tous les amis de Michel Grandbois étaient venus habillés ainsi, dans le costume de carnaval qu'ils arboraient tous les jours. Après tout, les passants hargneux ne leur demandaient-ils pas, à l'occasion, s'ils allaient à des funérailles ? Un garçon portait des chaînes et ses bottes militaires cirées avec soin. Une fille avait osé la voilette. Ils avaient tous côtoyé les parents de Michel, soupé avec eux, visionné chez eux un vieux film d'horreur et avaient été surpris d'entendre le rire clair de sa mère aux passages les plus sanglants. Le père au regard tranquille, toujours un peu inquiet, et la mère généreuse qui les connaissait tous par leur nom reposaient maintenant dans des boîtes de chêne fermées ; les corps avaient été mis en morceaux, chuchotait-on. Avec un petit vertige, Hélène se demanda comment le légiste avait pu procéder à une autopsie dans ces conditions. Puis elle pensa une nouvelle fois au sourire de madame Grandbois, et elle ne put retenir ses larmes.

Ils étaient tous venus soutenir Michel. Personne ici n'était plus proche de lui qu'eux, qui savaient désormais son secret, le chemin sur lequel il s'était engagé et qui le conduirait bientôt à l'immortalité. Eux qui, la veilles, lui avaient promis de le nourrir de leur propre sang.

Proche ou pas, Michel était rarement accessible. Des processions de gens défilaient devant lui ; pour la plupart, ils ne les connaissaient ni d'Ève ni d'Adam. Des parents, des collègues, tout ce qu'une vie peut vous apporter de relations. Elle avait pensé passer la journée entière près de son ami, le serrer contre elle pendant des heures, pour le réconforter ; elle avait à peine pu lui dire quelques mots. Elle restait tout de même, certaine que sa présence l'aidait, même s'il ne lui adressait jamais ne fusse qu'un regard. Le soir arrive vite en octobre. La Nuit, une autre de leurs amies, s'invita bientôt aux funérailles ; comme eux tous, elle pleurait. Quelqu'un, dans le salon, pesta à voix basse contre le mauvais temps. Hélène sortit un moment prendre l'air, son manteau de laine noir sur les épaules. Face à la maison, à moitié dissimulé par un arbre du parc, il y avait l'homme du Vade Retro, celui qui s'était battu aux côtés de Michel. Depuis ce soir-là, elle était certaine que c'était un vampire. Peut-être celui qui deviendrait le nouveau père de Michel. Il la fascinait, mais l'effrayait tout autant. Malgré sa crainte, elle lui fit un signe pour l'inviter à entrer ; il ne parut pas la voir. Elle rentra.

Malgré l'heure tardive et les espérances d'Hélène, les gens continuaient d'affluer. Le temps semble suspendu lorsqu'il côtoie la mort. N'ayant rien de plus important à faire, elle les observait. Ce n'étaient pas ses premières funérailles, mais celles-ci étaient particulières. Cette fois, les défunts étaient les victimes d'un meurtre non élucidé. Le registre de lieux communs était bien différent de celui qu'elle connaissait. Se serrant la main avec douleur, les gens se sentaient obligés de dire : « C'est terrible » en secouant la tête. Puis, après un silence de circonstance, ils ajoutaient que les coupables ne resteraient pas impunis. La police était pleine d'incapables, mais l'Inquisition, elle, trouvait toujours son homme, et les meurtriers — tout le monde semblait tenir pour acquis qu'ils étaient plusieurs — auraient bientôt ce qu'ils méritaient. La justice expéditive n'avait que des défenseurs, ce jour-là. Certains connaissaient déjà les auteurs du crime : des immigrants, certainement des Turcs, des musulmans. Un jour, il faudrait bien nettoyer la terre de ces gens-là. Quelques inconnus défilèrent, dont une femme très droite au pas lourd et sec ; Hélène entendit chuchoter que c'était la police. Ils firent, comme tout le monde, la file pour réconforter tous les parents, certains réservant une accolade appuyée à Michel, d'autres se contentant d'une brève poignée de main. Puis il y eut Maria, une amie du temps de Saint-Sébastien, qui ne faisait pas partie de leur petit groupe, mais qu'elle connaissait bien. Elle était accompagnée d'un élégant vieil homme à l'air grave et accablé de tristesse, qui sentait très fort l'alcool.

L'heure avançait. Elle espérait que Michel se retrouverait bientôt seul avec elle et leurs amis, sa véritable famille, mais plusieurs traînaient sur place, répétant comme des disques leurs lieux communs désolés, et d'autres gens continuaient d'arriver. Cassandra, la nouvelle patronne de Michel, était là sans qu'Hélène ne l'ait vue entrer. Elle ne fit pas la file comme tout le monde : elle alla directement à Michel, le serra contre elle sans dire un mot. Ils restèrent immobiles un si long moment que, sans les gestes nerveux de la foule des pleureurs, elle aurait pu croire que c'était la jalousie qui faussait ses perceptions.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant