Le Juge et l'Inspecteur

45 12 9
                                    

« Tu sors ? »

Kafka sursauta, s'arrêtant sur le seuil, comme prise en faute. Son mari sortait de la cuisine. Il s'était préparé un café. Drôle d'heure pour ça ; il serait bientôt minuit.

« Un témoin, pour le double meurtre.

— Les Grandbois... »

Kafka hocha la tête. Son mari avait espéré un certain répit, après la grosse affaire du Vampire. Elle se sentait coupable de le délaisser ainsi. Et pourtant, si elle était restée, aurait-elle pu être avec lui ? C'était la première fois qu'elle le voyait de la soirée.

« Je risque de rentrer tard.

— Ce n'est pas grave, dit-il en montrant sa tasse. Je risque de ne pas beaucoup dormir ce soir.

— Une grosse affaire ?

— Les associés veulent que je me spécialise en droit canonique.

— Comment ? Mais ça n'est pas du vrai droit...

— Ça n'empêche pas l'Inquisition de tenir son tribunal, de condamner et parfois de brûler. Si les gens comme toi ne les arrêtent pas, les gens comme moi doivent tenter de défendre leurs victimes. »

Le regard de la femme se glaça. « Ne recommence pas avec tes histoires de défense. Ton cabinet ne défend que les "victimes" qui paient. Celles-là ne sont jamais brûlées. Vous êtes simplement là pour fixer la valeur du règlement et prélever votre commission.

— Crois ce que tu veux. »

Elle le fixa un moment sans rien dire. Ce regard avait déjà confondu des coupables, mais les plaideurs de la trempe de son mari étaient d'une autre étoffe. Sans ajouter un mot, il se dirigea vers l'escalier qui menait vers son bureau. Cela durait depuis l'affaire du vampire. Les longues absences de sa femme avaient fini par le convaincre qu'elle avait un amant. Elle avait nié, bien sûr, mais ses dénégations avaient sonné faux, puisqu'elles étaient aussi sincères qu'indignées. Si elle avait vraiment caché un amant, elle aurait nié avec plus de force, croyait-elle. Dans les livres de droit canon qu'il se tapait à longueur de nuit, que disait-on de l'adultère ? Ou de la valeur du témoignage d'une femme ?

Elle claqua la porte.

Elle n'était dans sa voiture que depuis quelques instants quand les premières gouttes de pluie frappèrent la vitre. Le mois de novembre n'était pas particulièrement pluvieux, et cette ondée était faiblarde. Elle dut ajuster ses rétroviseurs ; son mari lui empruntait souvent sa voiture, parfois sans lui demander son avis. Son propre permis ne l'autorisait à prendre le volant qu'une semaine sur deux, et jamais après le coucher du soleil, mais personne n'arrêtait un véhicule de police, n'est-ce pas ? Si elle se plaignait, il jouait la victime, lui rappelait qui payait l'hypothèque ; jusqu'à récemment, il lui avait toujours ramené un petit quelque chose pour la remercier. Plus maintenant.

Ajustant la position du miroir, elle put voir ses yeux. Ils avaient repris de l'éclat — durant le court intervalle qui avait séparé le Vampire et les Grandbois, elle avait pu profiter d'un peu de repos. De plus, à l'idée de revoir Michel, elle avait appliqué un peu de maquillage, elle n'aurait su dire pourquoi. Quand elle avait rencontré le jeune homme, elle n'était pas à son mieux ; il avait dû garder d'elle un mauvais souvenir. Ce genre de détails devait conforter son mari dans ses illusions.

Et si elle prenait un amant, après tout ? Pourquoi en payer le prix sans en tirer les bénéfices ? Entre son travail et celui de son mari, entre les reproches sourds et la rancœur, elle n'avait plus touché une queue depuis des mois. La femme dont elle avait vu les yeux dans le rectangle étroit du rétroviseur pouvait plaire à un homme. Elle démarra.

Myriam et le Cercle de ferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant