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Le jour de l'enterrement survient une semaine après la mort de la mère d'Azref. Elle a été enterrée ce matin, et tout le palais est encore silencieux, comme il l'était une semaine auparavant. Partout où je regarde, il fait sombre, de plus en plus sombre. Cela me renvoie à la mort de ma mère, au désespoir que je ressentais. Et étrangement, ma sœur me vient à l'esprit à cet instant, certainement du fait qu'elle est devenue, au fil du temps, ma seule figure maternelle.

- Il est clair que vous lui avez manquée, dit Birsan en me souriant, à moi et au chaton.

- Et elle m'a manqué, dis-je en la serrant dans mes bras. Elle me rappelle quelqu'un qui m'est chère.

Un regard et Birsan savait de qui je parlais. Je soupire, et chasse ses pensées de mon esprit. Ce n'est pas le moment de penser à mes propres peines. Surtout en ce jour décisive, important pour notre peuple...

Birsan s'approche de la porte et l'ouvre légèrement, s'assurant qu'il n'y a plus personne. Il y avait en effet une servante qui écoutait aux portes tout à l'heure, celle qui m'a apporté mon chaton. Je ne laisserai sûrement pas passer cela, mais il fallait que je me débarrasse d'elle avant tout : quoi de mieux qu'une conversation ennuyeuse et banale ?

Maintenant que nous sommes absolument seules, Birsan pouvait m'annoncer la nouvelle que je souhaitais.

- Hazeï a été libéré, votre Altesse, dit-elle, la voix toujours près du murmure. Notre Roi a rompu l'accord, après les attaques militaires althéennes. Nos royaumes alliés ont envoyé leurs soldats en renfort, au cas où Althea riposterait après avoir rompu l'accord. Notre armée est en train de couvrir Hazeï, et a apporté toutes les nécessités dont le peuple a besoin.

Je souris. Hazeï a été libéré et si Dieu le veut, cela ouvrira la porte à la libération de toutes nos terres. C'est arrivé au bon moment ; le roi s'est enfui, l'héritier du trône est dans un état lamentable et n'est pas en état de gouverner, et nous avons su en profiter.

- Et j'ai une information personnelle pour vous... un message, à vrai dire, de votre sœur.

- Ma sœur ? dis-je, surprise. Dis-moi.

- Elle souhaite vous rencontrer bientôt, lors de la prochaine rencontre avec sire Reynald.

Je reste silencieuse un instant. Je ne sais si cela est juste. Je brûle d'envie de la revoir à mon tour, cependant je suis consciente du danger que cela représente. Je ne veux pas mettre ma sœur en danger.

- Quand aura lieu la prochaine rencontre ? Lui demandé-je.

- Dans deux semaines.

Deux semaines... C'est en effet bientôt. Avec le roi en fuite, je ne peux pas me permettre de la mettre en danger. Je vais devoir contacter Reynald, le duc Valerius ou quiconque, pour la convaincre de rester sur place. La libération est proche, je le crois, et... nous nous reverrons, c'est ma promesse.

- Birsan, je veux que tu me fasses un rapport, lui dis-je.

- Bien sûr, votre Altesse, quel rapport ?

- J'ai besoin des noms, et si possible, des visages des personnes qui ont disparu ces trente dernières années. Qu'ils soient citoyens althéens ou non. Peux-tu me fournir tout cela ?

Elle acquiesce. Je n'oublierai pas les camps. Je dois sauver mon peuple de là. Et pour cela, j'ai besoin de voir comment les choses se passent - il doit bien y avoir une sorte de système. Peut-être un endroit où ils ont l'habitude d'aller, des gens d'une certaine classe, de certaines familles... Je dois tout savoir pour pouvoir les protéger.

Quelqu'un toque à la porte, et Birsan se tait. C'est Azref. Il entre et nous regarde tous les deux. Compte tenu de la tasse de café que je tiens à la main, il n'est pas étrange que je sois avec une servante.

- Tu peux partir, Birsan, lui dis-je.

Elle s'incline avant de quitter la pièce, me laissant seule avec mon mari. Azref, sans un mot, s'approche immédiatement de moi. Il s'assoit à mes côtés et pose sa tête sur mes genoux, comme un enfant.

- Je suis si fatigué, murmure-t-il.

Inconsciemment, mes doigts se perdent dans ses cheveux que je caresse lentement. Ces moments avec Azref me paraissent naturels, désormais, chaque instant passé avec lui me donne l'impression de me sentir chez moi. Et c'est dangereux.

- As-tu déjà eu envie de tuer quelqu'un... à ce point ? Me demande-t-il. Comme pour respirer, j'en ai besoin.

Oui, toi. Avec chaque fibre de mon être, avec tout mon cœur, avec toute mon âme. Malgré tout, je ne l'ai pas fait.

- Dis-moi, Della, comment puis-je apaiser cette colère ? dit-il, désespéré. Comment puis-je désirer l'apaiser ?

- Tu ne peux pas. Soit tu vis avec, soit elle te tue de l'intérieur.

Il soupire, puis se lève. Il me fait face, les yeux presque rouges de colère. Rien qu'à son aspect, je sais que le roi est un homme mort, si tant soit peu qu'il tente de s'approcher d'Azref en ce moment.

- Est-ce un sentiment semblable à celui-ci ? Me demande-t-il. Celui qui me fait te désirer ? Celui qui me fait languir pour toi, qui me tue de l'intérieur ?

- Ce que tu ressens, c'est...

- Je sais ce que c'est, me coupe-t-il. Je crains que ce soit de l'amour.

Mes yeux s'écarquillent. De quoi parle-t-il ? Mon cœur bat plus vite à ses mots. Il est... Il n'est pas en état de réfléchir. C'est tout.

- Je t'aime, Della, dit-il en approchant son visage du mien.

- Retire ce que tu viens de dire, dis-je avec effroi.

- Non, je ne le ferai pas. J'ai eu du mal à m'y faire, mais j'y arrive maintenant... Alors je le répète, tu m'obsèdes, Della. Je suis amoureux de toi. Je t'aime. 

Il me plaque sur le canapé, son corps sur le mien, et je le regarde dans les yeux avec une expression sombre. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, ce n'est pas de l'amour. L'amour est pur. Je ne suis pas pure. Lui non plus. Il ne peut pas m'aimer. Il se dupe lui-même. Je ne suis pas celle qui peut être aimée. Au mieux, c'est de la convoitise. Le désir de posséder le fruit défendu. Jamais de l'amour.

Je me suis faite à cette idée, les hommes me désireront, mais ne m'aimeront jamais. J'ai toujours attendu cela d'Azref aussi, je n'ai jamais pensé qu'il tomberait réellement amoureux de moi. Et je pense encore que ce n'est pas le cas.

- Azref, cesse ces absurdités... La mort de ta mère affecte ton cœur et ton esprit, simplement.

- Je dis la vérité, et seulement la vérité, dit-il en me caressant la joue. Je ne veux que toi à mes côtés, Della... Je veux que tu sois ma reine, mon unique amante, la mère de mes enfants, ma seule compagne jusqu'à la mort. Est-ce trop demander ?

Je soupire. Il est dans un état second, inutile de le contredire. Il s'en rendra compte un jour, lorsqu'il acceptera la mort de sa mère. Je n'ai qu'à jouer avec, comme je l'ai toujours fait... il s'en rendra compte quand il sera trop tard.

- Non, ce n'est pas le cas...

Et sur ce, il presse ses lèvres contre les miennes, ses émotions intensifiées par sa confession. Oui... Je devrais peut-être en prendre avantage, il n'y a aucun mal à profiter d'un moment qui finira bien par s'achever, non ?

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now