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Le marché était rempli, ce qui me permettait de me fondre dans la masse. C'est bien différent d'Althea, où les rues étaient moins animées et les marchés plus ordonnés. Je me déplaçais habilement à travers la foule, mon regard scrutant les visages, d'un regard impassible. Les gens parlaient fort, marchandaient et riaient bruyamment.

Je ne peux même pas imaginer le chaos qui en résulterait si cela se ferait savoir que je suis le prince d'Althea. Ces barbares ne me laisseraient pas vivre.

- Vous revoilà, mon bon monsieur.

Je lève la tête vers le marchand. Il ne peut me reconnaître, bien heureusement, j'ai pu recouvrir mon œil, le faisant changer de couleurs. Et je recouvre ma tête à l'aide de ma cape.

- Est-ce prêt ? Lui demandé-je.

Il me tend un petit sac en cuir que je fourre dans ma poche, lui offrant en échange quelques pièces d'or.

- Le traitement fonctionne-t-il sur Madame ? Me demande le marchand.

- Il fonctionne, répondis-je d'un ton neutre. Ses douleurs sont allégées.

Il hoche la tête, comme s'il était soulagé. Dans ma tête, je ris jaune en imaginant sa réaction s'il apprenait que ses herbes guérisseuses étaient pour la reine d'Althea. Ils travaillent tous pour moi, même sans le savoir.

- D'ailleurs, mon seigneur, de quelle famille êtes-vous ? Me demande-t-il. Ma jeune fille pourrait vous envoyer le traitement à votre residence, afin que nous n'avez aucunement besoin de vous déplacer.

- Ma famille n'est pas de ces contrées, dis-je, ma voix dénuée d'émotions. Je viens de loin.

L'homme acquiesce, et je coupe court à la conversation. Je me tourne et me balade dans le marché. Je suis déjà venu plusieurs fois à Inimia discrètement, mais c'est la première fois que je viens depuis ma rencontre avec Della.

Depuis mon mariage avec elle, cette terre me donne un sens de familiarité. Elle n'est plus étrangère pour moi.

- C'est lui, entendis-je.

Soudainement, la foule s'agite. Les murmures s'enchaînent. Tous se ruent sur un seul et unique homme. Je le fixe, les sourcils froncés, son accoutrement est bien différent du reste, cela ne semble qu'évident ; c'est un noble. Y a-t-il si peu de nobles à Inimia pour que cela créé une telle agitation ?

Je me concentre sur la conversation des gens autour de moi, captant des bribes de discussions.

- Il a l'air si mal en point..

Deux femmes derrière moi discutaient, je tends l'oreille pour les écouter, elles semblent bien le connaître. Si je me fie à mon intuition, cet homme paraît important, il pourrait même être lié à la famille royale.

- N'a-t-il pas participé aux fouilles avec les gardes royaux ?

- Bien sûr qu'il y a participé. C'est sa fiancée après tout, autant nous sommes peinés, autant lui l'est encore davantage.

Sa fiancée.

Je me tourne lentement vers elles, la tête pleine de questions. Mon regard se fixe sur les deux femmes qui continuent à discuter, ignorant mon intérêt soudain pour leur conversation. Et je n'ai pu empêcher les mots de franchir mes lèvres.

- Qui est sa fiancée ? Leur demandé-je.

Elles me regardent d'abord surprises, avant de me répondre.

- Vous ne semblez pas d'ici, mon seigneur. Me dit l'une d'entre elles.

- Qui est-elle ? Répète-je, impatient.

- ... La princesse cadette est fiancée au Duc, me dit l'autre. Cela aurait été fait quelques jours avant sa disparition.

Et c'est tout ce dont j'avais besoin d'entendre. La princesse cadette n'est autre que Della. Je tourne le dos aux deux femmes, qui se remettent à discuter aussitôt, et je m'avance légèrement vers le Duc.

Je me mets à rire jaune, un rire sec et amer. Son fiancé, hein ? Étrangement, cette éventualité n'avait pas effleuré mes pensées. Jamais je n'avais pris le temps de me demander si elle avait un prétendant dans sa vie. Cela n'aurait rien changé, cela dit.

Je croise les bras, les appuyant légèrement contre mon torse, tandis que mes yeux scrutent l'homme devant moi avec une minutie presque cruelle. Sa stature, sa chevelure, sa posture, son allure, son attitude en public... Je secoue la tête, un soupir d'exaspération s'échappant de mes lèvres.

Della aurait pu faire mieux.

La seule chose que je connais du passé de Della c'est sa réputation. Une réputation parvenant jusqu'à Althea... une femme impure, non chaste. Je n'ai jamais eu confirmation de tout cela, et je dois avouer que c'est le moindre de mes soucis... cependant, cet homme me dérange fortement. Je ne parviens pas à imaginer Della l'aimer, je parierais sur une alliance politique.

Lorsqu'il se met à avancer, mes jambes se mettent à avancer inconsciemment, le suivant de près et en toute discrétion. Il est suivi par ses hommes, et s'arrête loin de la foule. Je me cache, tentant d'entendre une bribe de conversation qui pourrait m'être utile.

Un autre homme débarque, et vient à sa rencontre.

- Des nouvelles de Della ? Demande le Duc à l'homme.

Mes yeux s'assombrissent lorsque je l'entends prononcer son nom, cela sonne mal. Je souhaiterais presque lui couper la langue, tant sa voix m'est irritante, tant sa simple présence m'est insupportable.

- Non, duc.

- Cela ne peut pas durer ! S'écrie le duc, désespérément. Nous devons retrouver ma femme immédiatement !

Je ris légèrement. Sa femme ? Si seulement je pouvais me dévoiler, lui révéler comme je l'ai épousée, comme j'en ai fait ma femme... et comme je peux lui faire tout ce que je veux, quand je le veux.

J'ai soudainement envie de me rapprocher d'elle, de toutes les façons possibles.

Ce sentiment est perturbant.

- La princesse Freya commence lentement à sombrer sans sa sœur, ajoute le duc. Je ne peux pas laisser cette famille s'éteindre ainsi...

Je me fige, un sentiment de victoire se répandant dans mon corps. J'ai bien fait de le suivre... Della est la princesse cadette, je le savais, mais Freya ? Sa sœur, la princesse héritière se nomme donc Freya ? Encore plus, la famille royale d'Inimia souffre de la disparition de Della ?

Je m'en réjouis. J'ai souhaité bien du mal à la famille royale d'Inimia. Je leur ai souhaité de la douleur, de la souffrance, de toutes sortes. Je leur ai souhaité de ne jamais connaître de répit. Et pourtant, je me sens toujours envieux.

Ce royaume me fait perdre la tête. Il faut que je parte. Maintenant.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant