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Azref est resté avec moi toute la semaine suivante. Aujourd'hui, c'est le premier jour où j'ai été laissée seule, enfin, et Birsan s'est occupée de moi, me servant comme toujours.

- Tu as témoigné en ma faveur, Birsan, lui dis-je. Pourquoi ?

Elle se figea, le plateau à la main. Puis elle soupire, et le pose sur la table devant moi, avant de reculer.

- C'est mon devoir, dit-elle à voix basse.

- Tu disais que tu allais me venir en aide dans tout ce qui concernait notre terre, mais pas si cela me concernait personnellement. Tu me détestes. Et là, il s'agissait de moi, pas de... Inimia, lui dis-je. Je ne comprends pas.

- Je ne vous... déteste pas.

Cette fois, c'est à mon tour d'être surprise. Je n'ai jamais su pourquoi elle me détestait, en premier lieu, mais cela semblait si profond en elle. Je ne l'ai jamais questionnée, jamais forcée... J'ai fini par l'accepter. Je ne suis pas aimable, et elle n'est probablement pas la seule à me détester.

- Il est vrai que je vous ai détestée un temps, mais... Je me suis attachée à vous, votre Altesse. J'ai vu comment vous vous êtes battu pour nous. Même si parfois vos actions me semblent un peu trop cruelles, je les vois comme un sacrifice. Nos résistants se battent sur le champ de bataille, et vous menez votre propre bataille. Une bataille plus importante que la nôtre, si je puis dire. Sans votre force, nous ne serions pas en mesure de nous battre de toute manière. Je vous prie de m'excuser de vous avoir jugé si sévèrement.

- Mais... pourquoi ? Je veux dire, ai-je fait quelque chose de mal au début pour que tu me détestes ?

Elle est plus pâle que d'habitude, sa tête est baissée, et je vois les mains trembler qu'elle essaie désespérément de cacher. Je lui tiens la main, ce qui lui permet de relever la tête, et je fais un pas sur le côté pour qu'elle puisse s'asseoir à côté de moi. Je l'amène lentement vers moi et elle s'assoit à côté de moi.

- Je vous ai blâmé pour la destruction de mon village, vous et votre famille, dit-elle d'une petite voix.

Elle joue nerveusement avec ses doigts, je sais qu'elle se sent mal en ce moment. Je l'ai deviné le jour où elle a dit qu'il ne restait rien de son village...

- Mon village était près de Hazeï, il était très beau, très peuplé... Tout le monde se connaissait. Mais après la mort de la Reine, le Royaume a perdu son pouvoir, c'était le moment idéal pour une invasion. L'armée althéenne a envahi le village, a utilisé nos maisons comme point d'attaque, et a quitté le village en nous tuant tous. L'eau de la rivière près du village est devenue rouge à cause de tous les corps qui ont été jetés et du sang.

Horrifiés, c'est le moins que l'on puisse dire. Vu qu'elle est toujours en vie devant moi, cela signifie qu'elle a été témoin de tout cela...

- Papa savait que ce jour arriverait, il a construit une sorte de trappe où nous pourrions nous cacher. Mais elle était encore en construction, il ne l'a pas terminée et il n'y avait qu'un tout petit espace, suffisant pour un enfant, suffisant pour moi. Papa a affronté l'armée d'envahisseurs avec les autres hommes du village et les a combattus. Il a été tué. Maman était à l'intérieur, elle m'a cachée. Mais les envahisseurs sont entrés dans toutes les maisons, ils ont pris maman et... ils lui ont fait des choses atroces et...

Je lui tiens la main, tandis qu'elle s'efforce de parler. Je ne peux que comprendre.

- Je pouvais tout voir... Elle n'a pas crié, pour que je n'aie pas peur... Elle a commencé à chanter ma berceuse préférée pendant qu'ils étaient avec elle, dit-elle en commençant à pleurer. Elle chantait en mourant, espérant que je serais réconfortée. Je les ai vus la tuer. Et j'ai réussi à m'échapper quand ils sont partis... J'ai réussi à entrer à Althea, à rester dans les rues.

- Oh, mon Dieu...

- C'est là que j'ai tué pour la première fois, dit-elle, j'ai tué une fille de mon âge... une orpheline, j'ai pris ses vêtements et j'ai pris son nom et son prénom. C'est comme ça que j'ai réussi à survivre ici. Je vous ai toujours reproché, détesté de ne pas avoir arrêté ce massacre, de ne pas avoir repris la terre qu'ils ont transformée en parc.

Je la serre dans mes bras, elle pleurait. Je comprends maintenant. Nous étions faibles, et nous l'avons été encore plus après la mort de ma mère. C'est de cela que parlait le Grand Roi, quand il disait que mon père s'était laissé dominer par ses émotions. C'est arrivé parce qu'il s'est laissé contrôler par ses émotions, par son chagrin.

- Je suis désolée, murmuré-je. Je te promets de venger tes parents, de nous venger tous. Je te prouverai que nous ne sommes plus faibles.

Elle lève ses yeux larmoyants vers moi, un petit sourire se dessine sur son visage. Lorsque cela s'est produit, j'étais encore une enfant... Si j'avais été adulte à l'époque, j'aurais amené une armée avec moi et je leur aurais fait payer.

- Je sais, votre Altesse. Je n'en doute pas.

Elle essuie ses larmes, semblant légèrement soulagée, un peu mieux que d'habitude.

- Je vous fais entièrement confiance, Votre Altesse... Vous auriez fait une excellente reine, si seulement vous étiez née la première, dit-elle en souriant légèrement. Vous n'avez peut-être pas été ma sauveuse autrefois, mais vous êtes celle de milliers d'autres enfants.

Je lui retourne son sourire, me sentant à nouveau pleine d'espoir. Cette conversation m'a fait me sentir aussi bien qu'elle. J'allais répondre, lorsque quelqu'un frappe à la porte, nous imterrompant. J'autorise la personne à entrer, et c'est une autre servante.

- Votre Altesse, la calèche est prête.

J'acquiesce et me lève. Après cette conversation sincère, il est temps de rendre visite à la mère de Sardor.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now