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Après m'être promené rapidement dans la ville (bien sûr, déguisé en roturier, en cachant mon œil), je suis rentré dans le palais. Il faisait déjà nuit. Je regarde le balcon de ma chambre, les lumières sont éteintes, Della doit être en train de dormir.

J'entre dans le palais, avec un sentiment étrange. Je le balaie du revers de la main et monte dans ma chambre. J'espère qu'elle n'est pas réveillée, elle aura des questions, et je n'aurai pas de réponse à lui donner. 

L'appartement est affreusement silencieux. Aucun signe de vie. J'ouvre la porte de la chambre, et comme je le pensais, Della est endormie. Du moins, elle en a l'air. Je m'avance vers elle, et m'allonge sur l'autre côté du lit. Si elle était réveillée, elle m'aurait demandé de partir. 

Je me penche sur elle, la regardant pour m'assurer qu'elle ne fait pas semblant. Sa respiration semble normale, bien qu'un peu rapide pour une personne endormie. Peut-être qu'elle prétend, peut-être qu'elle ne prétend pas. Et c'est la dernière de mes préoccupations.

Je m'allonge, mets mes mains derrière ma tête et ferme les yeux. J'ai vraiment besoin de quelque chose pour m'aider à arrêter de penser... Je me lève, sans pouvoir me reposer, et je fouille dans le tiroir. Je jette un nouveau coup d'œil à Della, pour m'assurer qu'elle dort, avant de prendre une petite boîte fermée.

J'allais l'ouvrir avant que quelqu'un ne frappe à la porte. Je la cache rapidement et me lève. J'ouvre doucement la porte, et un garde est là.

- Que se passe-t-il ? Il est tard. Dis-je en fronçant les sourcils.

- Votre Altesse... C'est urgent, sinon je ne vous aurais pas dérangé.

Je me retourne vers Della, elle n'a toujours pas bougé. Je me retourne vers le garde, qui semble très désemparé par la situation.

- D'accord, parlons dehors, je ne voudrais pas la réveiller.

Il hoche la tête et sort de la pièce, je referme la porte en me demandant de quoi il s'agit.

- Nous avons trouvé une servante dans sa chambre, votre Altesse... dit-il en baissant la tête, morte.

- Morte ? Répété-je, les yeux écarquillés. Comment ?

- ... Elle a été retrouvée... pendue... et nous croyons qu'elle... s'est suicidée.

Je reste silencieux. Une servante suicidaire ? Je sors de l'appartement, laissant le garde m'indiquer où se trouve sa chambre. Et ce n'était pas difficile. Dans le quartier des domestiques, une seule chambre était encerclée par de nombreuses personnes. Je m'approche d'eux et ils se dégagent immédiatement.

J'entre dans la pièce, et je vois un corps recouvert d'un drap blanc sur le sol. Seuls ses pieds, avec les chaussures de son uniforme, dépassent du drap. C'est donc elle. Je m'agenouille et découvre son visage. Son visage est très pâle, son corps est froid, mais pas aussi froid qu'un cadavre. Elle est donc décédée il y a peu de temps, je dirais environ une heure ou deux.

Je lève les yeux et je vois la corde qui pend au plafond.

- A-t-elle laissé une quelconque lettre ? Rien ? Demandé-je.

- Non, votre Altesse.

Je me passe les mains sur le visage en soupirant. Je me demande si le sort du docteur... lui est-il arrivé à elle aussi ? Était-ce un acte délibéré de sa part ? Ou... la Grande Reine l'a-t-elle également poussée à la folie ?

- L'un d'entre vous connaît-il un de ses proches ? Un ami ? Une famille en dehors du palais ? Demandé-je en me relevant.

Tout le monde se regarde. Je ne remarque que le garde qui m'a informé de la situation, il est maintenant au bord des larmes et a été le seul très émotif dans ma chambre.

- Elle n'avait que moi, dit-il enfin.

Il prend une grande inspiration et baisse les yeux. Malgré ses efforts pour rester calme face à moi, il n'y parvient pas. Et c'est seulement maintenant que je remarque ses yeux rouges.

- Quelle était votre relation ?

- Nous étions ensemble, nous allions nous fiancer au printemps prochain... dit-il, lentement. Je ne comprends pas comment elle a pu faire cela... comment ne l'ai-je pas vu ? Était-elle aussi mal pour en arriver à cette solution ?

Je ne pouvais rien dire. Peut-être qu'elle s'est suicidée, peut-être pas. Mais pour le bien de tous, au nom des secrets que nos ancêtres ont cachés pendant des années, des siècles, il vaudrait mieux que cela reste un suicide. 

- Et sa famille ? Demandé-je au garde.

- Sa mère a trahi la patrie, elle fait partie de ces Althéens qui nous ont trahis pour Inimia, cela fait des années qu'elles ne se parlent plus. Et son père est mort durant la dernière guerre, répond-il. Elle n'a pas de frères et sœurs non plus.

Je hoche la tête. Elle n'avait vraiment personne, alors.

- Toutes mes condoléances, je veillerai à lui offrir des funérailles amplement méritées, dis-je. Tous les frais seront à ma charge.

- Merci, votre Altesse. Dit-il, la voix brisée. Elle admirait véritablement la gentillesse et la bravoure de votre Altesse. Elle souhaitait vraiment vous voir devenir roi...

Je laisse échapper un sourire doux-amer. Je me demande ce que cela fait de perdre un être cher, est-ce aussi douloureux ? Si je devais perdre mon père, Sardor, Della ou n'importe qui d'autre... Je ne ressentirais rien. Ni tristesse, ni chagrin, ni rien.

Il s'agit sans doute d'un véritable privilège, souvent non valorisé, pour les personnes qui possèdent un cœur.

Je sors enfin de la pièce, en regardant toutes les personnes présentes ici.

- Si quelqu'un a vu quelque chose de suspect au cours des deux dernières heures, j'attends de vous que vous me disiez tout, dis-je en les mettant en garde. Tout ce qui est caché finit toujours par être révélé.

Puis je me retourne vers le garde, qui était maintenant à terre, incapable de se contenir et de retenir ses larmes alors qu'il tenait le corps de la jeune femme.

- Et ce n'est pas un spectacle, que chacun retourne dans sa chambre, ordonné-je. Je ne veux voir personne, sauf lui, auprès d'elle.

Et sur ce, je rentre dans mon appartement, sachant très bien que je ne pourrai pas dormir. Je resterai sur le balcon, à me tourmenter avec mes pensées. J'ai besoin de rester tranquille, silencieux et seul pendant quelques heures pour assimiler tout ce qui s'est passé depuis quelques jours. Peut-être que cela me permettra de mieux comprendre Della. 

Et pourquoi est-elle celle qui tourmente mes pensées.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now