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À genoux, dans dans l'obscurité de ma chambre, je joins mes deux mains les yeux fermés. Je prie Dieu silencieusement, Lui demandant d'accepter l'âme des ces quatre soldats d'Inimia comme martyr. C'est le moins que je puisse faire.

Mais lorsque j'ouvre les yeux, ma colère ne s'est toujours pas adoucie. Je ressens comme une force me possédant, comme si ces sentiments me contrôlaient.

Avant que je n'agisse contre ma volonté sur cette colère, je m'allonge sur mon lit et tente de m'endormir. Si le sommeil pouvait me parvenir. Je dois dormir et me ressaisir, mes émotions  ont réussis à me contrôler alors que le Grand Roi m'a choisi car il me pense capable de les contrôler.

J'en suis capable.

Je ferme les yeux, forçant mon esprit de ne penser à rien. Rien qui pourrait déranger mon sommeil. Cependant, le sommeil m'évite, comme si même mes rêves refusaient de m'apporter le répit dont j'ai besoin. Tout ce que je pouvais entendre était le bruit des animaux sauvages hurlant à la lune.

Plus la nuit avançait, plus mes pensées s'assombrissaient. Si les Hommes pouvaient lire dans les pensées, ils verraient des images tendres et violentes, sonnant comme un piano mal accordé. Pourtant, je trouve du réconfort dans cette mélodie étrange, dans ces images particulières, sachant pertinemment qu'elles ne proviennent de rien d'autre que d'un désir de liberté.

Ces animaux sauvages ont-ils une conscience ? Savent-ils à quel point les humains ont à cœur et envient la liberté qu'ils vivent ? 

Toute personne saine d'esprit serait terrifiée. Ces pensées seraient assimilées à des cauchemars. Or, je n'arrive pas à les craindre, à en être repoussée. Et cela en dit long sur moi, sur mon âme.

Je ne vaux peut-être pas mieux que le prince, il a peut-être souillé mon âme et je suis peut-être un ange démoniaque. Ces crises soudaines de douleur, d'angoisse, de rage, de violence ne sont pas normales.

Ou bien j'ai perdu toute ma lumière, toute mon innocence et ma pureté à cause de Madame. À cause de la mort de ma mère et de l'apparition de cette femme dont je n'ai connu que malheur. Me voilà, une jeune femme âgée de vingt-deux ans, craignant toujours la violence de cette femme.

Et ce sont sur ces pensées que je réussis à m'endormir d'un sommeil profond. Peut-être que oui, finalement. Peut-être que je suis la seule apte pour cette mission, car mon âme est déjà corrompue...

Le lendemain matin, le soleil pénétre chaque recoin de la chambre, marquant ainsi une nouvelle journée loin d'Inimia et de ma famille. Je m'assois sur le lit, en soupirant.

- Bonjour, Madame.

Je tourne la tête, surprise. Une servante est là, me regardant d'un air las et ennuyé. Je la regarde froidement en retour, gardant cette hiérarchie entre nous, ma position de force. Je me lève de mon lit, glissant mes pieds sur le sol avec une grâce maîtrisée malgré la lourdeur qui pèse sur mes épaules. Mon regard croise celui de la servante, et je dénote une légère hésitation dans ses yeux.

Le prince a dû l'envoyer. D'autres servantes entrent dans la chambre et me conduisent à la salle de bains pour faire ma toilette et me préparer au petit déjeuner. Je prends un bain rapide, elles m'habillent, me maquillent, me coiffent. Et tout cela, toujours avec hostilité.

- Je ne suis pas une vulgaire poupée que vous apprêtez. Je suis la future épouse de votre Prince, gardez votre opinion à mon sujet pour vous. Dis-je, froidement.

- Nous n'avons rien dit, Madame.

- Oh, mais vos actes parlent d'eux-mêmes. Je suis certaine que vous ne voudriez pas devenir mes ennemis, c'est pourquoi vous feriez mieux de bien vous tenir.

Les servantes baissent les yeux, ne répliquant pas. Une tension silencieuse règne dans la pièce, alors que je les laisse terminer leur tâche sans ajouter un mot de plus, la leçon est donnée. Je me devais de mettre les choses au clair dès le départ, sinon elles m'auraient continuellement rabaissées, se pensant supérieur à la princesse d'Inimia.

Après avoir été parfaitement préparée, je suis escortée vers la salle à manger où le prince m'attend. Il lève les yeux de son repas lorsque j'entre, et je me fais accueillir dans une atmosphère froide, et peu chaleureuse.

Le roi n'est pas là.

- Viens, assis-toi. Me dit-il.

Au lieu de m'asseoir à ses côtés, je me place en face. Le prince semble légèrement contrarié par mon choix de position, mais il cache habilement son irritation derrière une attitude froide. Je ne le regarde pas, restant indifférente à sa présence.

Les servantes s'approchent pour nous servir. Quelques tranches de fruits ont été disposés sur mon plat, avant que je ne fasse un geste de main.

- C'est assez, dis-je doucement.

Le prince fronce des sourcils, le regard perplexe.

- La nourriture n'est pas à ta convenance ? Me demande-t-il.

- Elle l'est, affirmé-je. Qu'y a-t-il ?

- Cette portion n'est pas suffisante, même pour un enfant. Me répond-il, puis il se tourne vers la servante. Ajoute-lui encore plus.

La servante hoche la tête et remplit encore plus mon plat. Je regarde le prince avec colère, je n'aime pas que l'on interfère dans mes affaires.

- C'est la même portion que j'ai prise lors du dîner, mais cela ne semblait pas vous préoccuper, dis-je, les sourcils froncés. Je ne pourrais pas manger tout cela.

- Pourquoi cela ?

- Tout cela est trop pour toi ! S'écrie Madame. Regarde-toi ! Penses-tu réellement qu'une princesse pourrait avoir un corps aussi répugnant que le tien ?

Je baisse le regard sur mon corps. Mes mains se mettent à trembler. Suis-je aussi laide que cela ? Mon corps est-il aussi répugnant ?

- C'est décidé, à partir de maintenant, tu ne mangeras pas plus que cela !

Elle prend mon assiette, et vide bien plus que la moitié de son contenu. Il ne restait plus que l'équivalent d'une seule cuillère de purée. Elle m'a retirée les accompagnements, la viande, les légumes.

- Mais j'ai faim, Madame. Dis-je doucement. Je n'ai rien mangé.

- Tu vas devoir t'y faire, dit-elle avec colère. Ta présence est déjà suffisamment honteuse, que ton physique puisse compenser cela. Si tu continues ainsi, tu finiras tellement potelée que tes robes ne t'iront plus, et tu ne parviendras jamais à trouver un mari ! C'est cela que tu veux ? Rester à mes côtés à jamais ? Être si hideuse que te regarder dans le miroir te sera une torture ?

Je baisse la tête, les larmes aux yeux. Mais le médecin me disait que c'était normal... Que je venais d'entrer dans la puberté, prendre du poids était ce qu'il y a de plus naturel.

- Non, dis-je faiblement, non, Madame.

Je serre ma robe entre mes poings, regardant mon plat bien plus que rempli. Mon ventre se noue. Malgré le fait que je suis loin d'elle, elle me hante. Elle me hante à chaque instant.

- Pour rien, dis-je doucement. 

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now