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Les tunnels ne sont pas comme je les avais imaginé. Ils sont grands, larges, bien structurés. Le travail de plusieurs années, plusieurs décennies, porte enfin ses fruits. Le pharmacien se met à siffler dans la base principale, et des mouvements se font ressentir.

Rapidement, je me fais entourer d'une dizaine de personnes, hommes et femmes.

- Ajaz, tu-

Lorsque leurs yeux se posent sur moi, ils se figent. Évidemment, tout le monde me pense disparu, ils n'avaient aucun moyen de savoir quoi que ce soit sur moi.

- ... Princesse ?

Le pharmacien, dont le nom est Ajaz je suppose, s'approche d'eux.

- La princesse d'Inimia nous est revenue, leur dit-il. Elle nous a honoré avec sa présence.

Et immédiatement, ils s'inclinent tous. Ils sont tous armés, tous équipés pour se défendre. Même l'intérieur est équipé.

- Où étiez-vous, princesse ? Me demandent-ils. Nous préparions une invasion contre le palais pour vous retrouver, mais...

- Pas le palais, peu importe ce qu'il se passe, ne vous attaquez pas au palais, les prévené-je. C'est, pour le moment, leur point le plus fort... nous devons affaiblir les alentours en premier lieu.

J'ai donc bien fait de me montrer, s'ils avaient attaqués le palais... la vérité à mon sujet aurait été révélée, et tous se seraient mis en danger.

- Ce n'est plus qu'une question de temps avant cette annonce, alors je voudrais que vous l'entendez de moi, leur dis-je d'un ton ferme. J'ai infiltré le palais en épousant le prince, tous pensent que j'ai perdu la mémoire.

- Oh mon Dieu, dit une des femmes présentes, vous étiez donc si proche de nous depuis le départ !

Je lui fais un petit sourire avant de reprendre une expression grave. Je sais que je peux leur faire confiance, sinon ces tunnels auraient déjà été découverts.

- Nous avions véritablement besoin de vous, dit l'un d'entre eux, surtout après les derniers bombardements.

- ... Je les ai vus. Combien y a-t-il eu de victimes ?

- Les derniers comptes étaient de mille deux cents quatre victimes, dont septs cents enfants de moins de seize ans et femmes, deux cents personnes âgées et une dizaine de soldats. Cela sans compter les disparus sous les décombres.

Mes mains se serrent en poing, c'est bien plus pire que ce que je pensais.

- ... Je commence peu à peu à avoir la confiance du prince, je pourrais avoir des informations utiles pour vous plus tard, leur dis-je. Mais d'abord, je dois vous demander une chose.

- Vos désirs sont nos ordres, votre Altesse !

- Seriez-vous prêt à mourir pour moi ?

Un silence s'en suit, chacun se lançant un regard. J'aurais peut-être dû attendre, mais il me fallait tester leur loyauté dès le départ.

Et à ma surprise, tous ont sortis une dague. D'un coup vif, en gardant le regard fixe sur moi, ils se tranchent la paume de la main sans vaciller.

- Que Dieu ait pitié de nos ennemis. Aucune clémence ne leur sera accordée, ni à nous-mêmes, tant que notre patrie ne sera pas libre et que la tête des traîtres ne reposera pas sous sa gloire.

Le chant de guerre. Ce chant prononcé par le Grand Roi, et ses soldats, lorsqu'il a eu connaissance de la nouvelle du meurtre de sa sœur, lorsqu'il a déclaré la guerre au mari de cette dernière.

Le sang coulé de leurs mains, alors qu'ils se tenaient droits, sans montrer ne serait-ce qu'un signe de douleur.

J'ai eu ma réponse.

- Pour Inimia...

AZREF

Je ne veux pas mourir,

Pourtant, elle a le doux parfum de la mort.

Je ne me souviens pas de la dernière fois où je l'ai regardée comme je regarderais la chose la plus insignifiante et méprisable. Sa peau est telle de la soie soyeuse, une soie dans laquelle je pourrais me noyer. Bien que je n'aie pas pu y goûter pleinement, ses lèvres rouges me semblent être un péché.

Elle est en elle-même un péché. Mon unique péché. 

Ses mains sur moi étaient parfaites. Je veux les ressentir encore, et encore, et encore, jusqu'à ce que je m'en lasse. Juste pour me rendre compte que je ne peux pas m'en lasser de toutes les façons. Alors je le voudrai encore, et encore, et encore. Et je me rendrai compte que je suis devenu addict.

- Della...

Je sens son parfum, il se diffuse partout autour de moi, se répand dans mes poumons, rendant l'air que je respire insignifiant...

Mon regard vacille, la ligne entre rêve et réalité se brouillant. Les voix et sons se multiplient, créant encore plus de confusion, ne sachant pas d'où est leur provenance.

Je ne veux pas mourir.

Et je ne veux pas que tu meures non plus, maman.

Est-ce si difficile à comprendre ?

- ÉGOÏSTE ! ÉGOÏSTE !

Ma mère se tenait là, à genoux sur plusieurs cadavres empilés les uns sur les autres. Je regarde autour de moi, cherchant ce parfum qui me faisait perdre la raison, mais je ne trouvais rien. Où est-elle passé ?

Maman a aussi le goût de la mort, seulement, un goût que j'aimerais tant annihiler. 

Je veux la sauver, même si son cœur ne le désire pas. Et Della... Elle me noie avec elle-même dans la mort la plus douce que l'humanité ait jamais connue - ou peut-être me donne-t-elle l'illusion de s'y noyer aussi. Le pire ? Je ne cherche même pas à me sauver.

- Votre Altesse, prenez votre temps... ouvrez lentement les yeux, m'entendez-vous ?

Je fixe maman du regard alors qu'un bout de verre qu'elle avait cachée s'était logée dans mon abdomen. Elle ne montrait aucun signe de regret.

- Suis-je... aussi peu signifiant... à tes yeux... maman ?

Je me lève de son lit, et marche lentement vers la porte. Je me tourne vers elle, lui faisant un sourire réconfortant.

- Je t'aime toujours... murmuré-je.

Mes yeux s'habituent peu à peu à la lumière, aux personnes autour de moi. Tout revient dans l'ordre... je comprends ce qui est rêve et ce qui est réalité.

La réalité a un goût vraiment déplaisant.

Mes yeux se pose instinctivement sur elle, ressentant un sentiment... d'apaisement ? Non, de familiarité probablement. Je revois ce que j'ai connu dans mon quotidien ces derniers mois ; une femme, ma femme, mon ennemie me regardant avec toute la haine possible.

Et je trouve cela étrangement réconfortant.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now