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Le jour suivant, les servantes sont venus dans ma chambre me demandant de les suivre dans le bureau du Roi. Il m'aurait demandé. Je les suis en respirant profondément. Je ne sais pas si je serai seule avec lui, peut-être que oui, et dans ce cas, je devrai être plus vigilante qu'à n'importe quel autre moment. Je devrai contenir ma rage en moi. Je déteste cet homme, plus encore que son fils.

Ils sont les deux faces d'une même pièce, mais le père est connu pour les crimes personnels qu'il a commis. Face au monde, il ne s'en cache pas. Il en est même fier. Avant ma naissance, il a tiré une balle dans la tête d'une femme devant son enfant, sous prétexte qu'elle avait essayé de l'attaquer alors qu'elle était menottée. Plus tard, l'enfant a disparu, et il a été retrouvé mort dans la forêt deux jours plus tard.

Je sais qu'il l'a tué. Et c'est le moins pire qu'il ait fait.

- Je vais annoncer votre arrivée à Sa Majesté, disent les gardes.

J'acquiesce et j'attends devant la porte. Quelques secondes plus tard, ils me laissent entrer. Je marche lentement à l'intérieur, le cœur battant rapidement. Je ne comprends pas la raison pour laquelle un homme qui ne supporte pas me voir voudrait m'appeler dans son bureau.

Une fois à l'intérieur, je vois que je ne suis pas seule. Le roi est là, Azref et Sardor également. Il y a également un autre en blouse blanche face à moi. Mon cœur bat encore plus rapidement, comprenant enfin de quoi il est question. La raison pour laquelle je suis là.

- Te voilà enfin, Della. Assis-toi, me dit Azref. 

Je m'assois, tentant de dissimuler ma nervosité. J'ai réussis à m'en sortir la dernière fois... Qui me garantit que je m'en sortirai cette fois ?

- Que se passe-t-il ? Lui demandé-je.

- Nous avons quelques questions concernant tes derniers moments avant que tu te sois faites attaquer, me répond-il. Le médecin fouillera dans tes souvenirs pour trouver la réponse.

Je hoche la tête, comme si j'étais d'accord. Cette fois, soit ils tentent de chercher une information sur Inimia, soit ils cherchent à savoir si je suis véridique ou non. Soit les deux. Dans les deux cas, je ne dois pas les laisser faire.

Le médecin s'assoit face à moi, aussi nerveux que moi.

- Je vais prendre vos mains dans les miennes, votre Altesse, et vous allez me regarder dans les yeux, m'informe-t-il. Vous n'allez pas détourner le regard, ne serait-ce que pour un instant.

Je fais un signe de tête, puis il sort un liquide que je n'arrive pas à identifier.

- Vous devez boire cela d'abord.

Je tourne la tête vers Azref, et il m'encourage d'un signe de tête. Je prends le liquide et l'avale d'une traite, priant que cela ne soit rien de grave. Immédiatement, je ressens ses effets. J'ai l'impression que mon âme a cessé de fonctionner, que mon cerveau trie ses informations avec précision.

Mes yeux dans les yeux du médecin, mon cerveau semble lui envoyer les informations qu'il désire.

- V... Votre Altesse, je... je ne vois rien, dit le médecin.

Je ne vois pas la réaction d'Azref, je me sens tellement engourdie. Je n'arrive pas à bouger mon corps.

- Comment est-ce possible ? Demande Azref. Tu as essayé avec moi, tout à l'heure, et tu as réussi à faire sortir les informations de mon cerveau. Résiste-t-elle ?

- Elle ne résiste pas, je... Je ne vois juste rien, dit le docteur, désemparé.

- Réessayes.

Il acquiesce, puis se tourne à nouveau vers moi. Il semble un peu plus nerveux, sachant probablement qu'il mourra s'il ne leur donne pas le résultat qu'ils attendent. Les secondes s'étirent comme des heures, et je sens l'agitation grandir dans la pièce. Azref, Sardor et le roi observent attentivement, attendant anxieusement le moindre signe de succès. Le médecin, quant à lui, transpire à grosses gouttes. 

Soudainement, il sursaute, comme s'il avait trouvé la petite faille qu'il cherchait désespérément.

- Je le vois... S'exclame-t-il. Je commence à voir ses souvenirs... Elle les a simplement enterrée loin. 

- Bien, continue à creuser, l'encourage Azref.

Mais il y a quelque chose qu'ils ont négligé. Je ne me laisserai pas faire sans me battre. Pendant qu'ils tentaient de fouiller mes souvenirs, je tentais de faire bouger mon corps. J'ai senti comme un sentiment de victoire lorsque j'ai réussi à faire bouger mes orteils. Ils ne pouvaient le voir, bien évidemment, puisque ma robe couvrait mes pieds.

Chaos.

Mes yeux ne devenaient plus qu'un miroir, non pas de mon intérieur, de mes pensées et comme ils le désiraient, de mes souvenirs, mais d'un futur proche auquel personne ne pourra y échapper.

Des hurlements à en déchirer les poumons.

Je regarde le médecin avec insistance, sentant son être entier trembler.

Sentez la chaleur, déloyaux sujets de la Grande Reine. Sentez la chaleur, sentez les flammes brûlant votre peau, sentez vos pieds courir sur ces chemins brûlants à la recherche d'un endroit sûr. Sentez la terreur emplir votre âme, lorsque vous l'entendez... Leurs voix puissantes, leurs pas bruyants marchant à l'unisson faisant trembler la terre sous leur poids.

L'enfer a ouvert ses portes, et les démons que nous sommes vous hanteront. 

Le médecin, pris au piège de mon regard, est secoué par des spasmes de terreur. Il tente désespérément de se libérer de cette sombre vision qui peu à peu s'empare de son esprit, mais mes pensées semblent le retenir, le rendant incapable de bouger.

Les hurlements imaginaires résonnent dans l'air, une symphonie de terreur composée dans les recoins de mon esprit. Les flammes créent une illusion si réaliste que l'odeur de la chair brûlée semble flotter dans l'air.

Le médecin, frappé par une terreur indicible, recule encore, renversant sa chaise dans sa fuite. C'est à ce moment-là que je réussis à me libérer de l'emprise du liquide sur mon corps. Les autres, tout aussi déconcertés, échangent des regards incertains, incapables de comprendre ce qu'il se passe.

Il se lève, l'horreur se révélant sur son visage.

- C'est la fin... ! Hurle-t-il. La fin du monde !

L'arme à feu sur le bureau du roi se retrouve dans les mains de cet homme effrayé, semblant être devenu fou... Je reste figée, lui ai-je infligée cela ? Moi ? 

Ses hurlements continuent, jusqu'au détonement de l'arme et enfin... au silence. Personne ne bouge, n'ayant pas réalisé ce qu'il s'est passé... Je me tiens fortement à la chaise, alors que les gardes débarquent dans le bureau, craignant que quoi que ce soit arrivé à leur roi.

Mes yeux ne bougent pas, je reste fixée sur cette marre de sang qui s'agrandit de plus en plus à mesure que les secondes passent. Il s'est tiré une balle dans la tête. Le médecin vient de mettre fin à sa vie, et j'en suis la responsable.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now