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Azref n'est pas venu dîner. Il est partit, je ne sais où, et lorsque le roi l'a su, il a demandé à ce que son dîner soit servi dans son appartement. Alors une servante est venu dans ma chambre pour m'amener mon dîner également.

- Souhaitez-vous autre chose, votre Altesse ? Me demande-t-elle.

- Birsan est ton nom, c'est cela ? Lui demandé-je.

Elle confirme, surprise que je m'en sois rappelée. Son nom me rappelle l'ancien royaume, c'était le nom d'une des plus grandes et anciennes villes (évidemment disparus, à cause d'Althea). Ses parents ont probablement voulu s'approprier nos anciennes terres, comme l'ont fait de nombreux Althéens. Notre ancienne culture est devenue la leur. Ils nous ont tout volé. Du plus petit au plus grand.

- Je ne souhaite rien d'autre, lui répondis-je enfin, je vais rentrer me coucher.

Elle hoche la tête.

- Passez une bonne nuit, votre Altesse.

Puis elle s'en va, prenant avec elle les restes de mon dîner. Je repose le livre que j'avais en main, et retourne dans ma chambre. Je me jette sur le lit, gardant les yeux sur le plafond. J'ai pu pleurer un bon coup, et je me suis immédiatement reprise. Je me suis permise quelques minutes de faiblesse, je ne peux me permettre plus.

Je me tourne ensuite sur le côté, posant mes mains sous ma joue, en regardant le vide. Cependant, pour une raison ou une autre, je ne me sens toujours pas bien. Je me sens... vide. J'ai un manque à combler, mais que peut le combler ? Parfois, j'oublie que je dois m'omettre. Je ne dois penser à mon être.

Je suis ni plus ni moins un pion, ou un soldat peut-être. Je suis quelque chose. Je ne suis pas quelqu'un. Quelque chose, la clé pour la liberté, un moyen de résistance, une vengeance. Je ne m'en plains pas, pour autant. Si c'est le seul moyen, alors soit.

Mais je dois garder cela en tête. Mes émotions sont ma plus grande faiblesse, et je dois les contrôler, bien plus que je ne le fais. La principale raison pour laquelle le Grand Roi m'a choisi moi, et non mon père, est par cette capacité à contrôler mes émotions.

Je ferme les yeux en soupirant. Je pensais que cela aurait été si simple, considérant le fait que j'ai pu dissimuler la violence que je subissais par Madame. Je n'avais pas prévu que je serais aussi... seule.

Peut-être que si maman était en vie, j'aurais été une entière autre personne.

Mais elle ne l'est pas. Alors je ne serais pas une personne différente, je serais moi. Je suis moi. Della Avalorn, princesse d'Inimia, sœur de la future Grande Reine du Royaume que je vais libérer.

Je me laisse emporter par le sommeil, me laissant cette nuit comme dernière pour repos. Demain, je vais commencer à chercher des alliés dans le palais, ou même en dehors. Cela sera long et compliqué. Je vais tout faire pour mon royaume, et je vais tout faire pour rester en vie... pour ma maman.

Car je sais que si elle était là, elle ne se serait pas opposée à ce que je fais, la seule chose qu'elle m'aurait demandé est de rester en vie.

Le lendemain, je me réveille toujours avec les mêmes pensées que le soir d'avant, mais avec une nouvelle détermination. Azref ne dormait pas à mes côtés, il était là cependant. Sur le balcon, buvant son café.

J'allais l'ignorer et continuer mon chemin, cependant comme s'il avait senti ma présence, il m'interpelle :

- Rejoins-moi.

Je fronce les sourcils. Sa voix était froide, différente de celle d'hier. Je m'approche de lui, pensant à un piège qu'il me tend. Il tire la chaise à ses côtés, m'invitant à m'asseoir sans mots.

- Est-ce urgent ? Lui demandé-je. Je dois me laver, d'abord.

- Tu le feras plus tard, me répond-il. Et ne tente pas de me désobéir, aucune servante ne sera là pour toi.

Je ne comprends pas ce qui lui est arrivé. Je reste sur mes gardes, en m'asseyant à ses côtés. À tout moment, il pourrait me faire du mal. Il ne fait rien de tel, il m'a simplement tendu une tasse de café.

- Empoisonné ?

Il roule des yeux, en prenant ma tasse. Il en prend une gorgée, me prouvant qu'elle est sans danger. Je prends la tasse en main, toujours aussi confuse. Il est froid, comme si pour une fois, il me montrait son véritable visage. Un visage qui me hait, bien plus que tout au monde.

- Sardor reviendra ce soir, m'informe-t-il. Et lorsqu'il reviendra, tu seras mise au courant de ta mission.

Je hoche la tête. Tant pis. Je vais devoir compter sur moi-même, comme je l'ai toujours fais. Je bois l'entièreté du café d'un coup sec, en maintenant un contact visuel avec Azref.

- Vais-je commencer immédiatement ? Lui demandé-je.

- Je n'en suis pas encore certain.

Je baisse la tête, et fronce les sourcils en voyant le fond de la tasse. Le café a pris la forme d'une flamme. Je repose immédiatement la tasse sur la table, feignant n'avoir rien vu. J'ai relevé de nombreux signes d'enfer, d'apocalypse et, plus généralement, de malheur, dans tous les recoins de ce palais. Cela commence à ressembler à un peu plus que de simples coïncidences.

- Quel est le sens de la vie pour celui qui ne veut pas la vivre ?

- Le même que pour celui qui veut vivre : rien. Rien, mais tout à la fois... La vie n'est pas faite pour être questionnée, lui donner un sens est donc... futile. Pourtant, nous le faisons. Nous créons des sens comme nous créons des idées et des rêves... bon sang, nous créons même un avenir pour des gens qui n'ont plus la possibilité de nous parler. Te rends-tu compte à quel point nous vivrions dans l'ennui si nous n'avions pas de sens ? Même s'il est petit. Même si le seul sens que j'ai, est celui de vivre cette journée.

Son regard croise le mien, comme s'il était surpris que j'aie réellement répondu à sa question.

- Et si quelqu'un ne trouvait pas de sens à sa vie... ou peut-être que le sien était la mort ? Me questionne-t-il.

- Et bien... Je pense que la mort est le plus grand sens que nous puissions donner à la vie, étant donné que la vie sans la mort n'existe pas. Nous vivons pour mourir, c'est tout. Et celui qui souhaite la mort est toujours celui qui vit le plus, parce qu'il sait quand cela va finir. C'est lui qui donne le plus de sens à sa vie...

- Comment cela se fait-il ? Demande-t-il, les sourcils froncés.

- Parce que la mort n'accueille pas ceux qui sont prêts pour elle, qui la désirent... mais ceux qui la craignent et la rejettent. C'est cruel, mais vrai. Plus tu la désires, plus elle s'éloigne de toi. Mais tu ne le sais pas. Tu la crois proche, tu vis pleinement ta vie... pour découvrir que tu es encore vivant. 

Il reste silencieux un instant, je ne sais même pas pourquoi j'ai parlé autant. Cependant, il avait l'air d'avoir besoin d'une véritable réponse, une qui lui permettra d'affirmer ou de nier ce qui semble le tracasser depuis ce matin.

- Comme je l'ai dis, tu vois la vie en noire... Me dit-il, affichant ce qui devrait être un demi-sourire.

- Probablement.

- ... Je t'apprendrai à être optimiste, désormais. Dit-il, ses traits commençant à s'adoucir. Maintenant pars, va te préparer.

Je secoue la tête, retenant un léger rire en me levant. Je ne comprends toujours pas comment il a pu changer aussi rapidement d'humeurs, mais enfin... Cet homme cache bien des surprises.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant