98.

50 4 0
                                    

Nous sommes arrivés chez la mère de Sardor. Je suis surprise de voir que sa maison est assez humble, considérant le rang qu'avait Sardor près d'Azref. Je toque à la porte, qui s'ouvre rapidement alors que je me fais accueillir chaleureusement par la mère. J'entre, laissant Birsan et les gardes à l'extérieur.

Elle m'amène dans le salon, là où je m'assois. Elle semble fatiguée, ses yeux sont gonflés, rouge... pourtant, elle ne semble pas m'en vouloir. Malgré mes cheveux, malgré ce que je suis, malgré d'avoir été la raison de la perte de son unique fils.

- Je voulais vous présenter officiellement mes condoléances... dis-je doucement. Malgré tout, votre fils a bien servi le royaume.

Elle baisse la tête, ses mains sur les jambes. Elle semble nerveuse. Je remarque une chose qu'elle tient en main... un portrait. Je ne pouvais distinguer ce qui était représenté, puisqu'elle le gardait vers moi.

- Mon fils n'a pas trahi Althea, dit-elle d'une petite voix. Si je ne peux avoir qu'une seule certitude, ce sera cela. Mon fils s'est toujours battu pour Althea, à mon plus grand malheur.

- Malheur... ?

- Je suis au courant de tous les crimes commis par mon fils, dit-elle, honteuse. Il a pris tant de vies innocentes... mon seul espoir est que notre Seigneur lui fasse miséricorde et lui pardonne.

Je reste silencieuse. Elle le savait, mais n'a rien fait ? Elle n'a jamais protestée ? Je voulais le dire, je voulais affirmer que Dieu ne lui pardonnera jamais. Il faudrait qu'il puisse avoir le pardon de toutes les âmes qu'il a arraché. Et je ne suis pas certaine qu'il l'aura...

- Il n'est pas plus traître que vous l'êtes.

- Que voulez-vous dire ? Demandé-je, confuse.

- La descendante du béni Grand Roi ne peut être une traître à sa nation, me répond-elle.

Je ne réponds rien, ne voulant ni affirmer ni nier ses propos. Je lui parais confuse, comme si je ne savais ce dont elle me parlait. Une Althéenne, ayant trahit son mari Inimien, je ne peux lui faire confiance. Voyant ma non-réaction, elle retourne au sujet initial.

- Je me sens indigne de faire le deuil de mon fils, je ne le mérite pas... mais je ne peux empêcher mon cœur de souffrir autant, dit-elle sa voix tremblante. J'ai tout perdu, mon mari et mon fils...

Son mari ? Évidemment qu'elle l'a perdu. Elle ne peut s'en vouloir qu'à elle-même. Si elle ne l'avait pas trahie, elle serait avec lui... et Sardor serait probablement en vie. Il serait du même côté que moi. Il se botterait à mes côtés, et c'est si étrange de l'imaginer.

- Votre Altesse, j'ai un lourd secret à vous confier, un lourd secret que je porte depuis des décennies... puis-je vous raconter son histoire ? Dit-elle en me montrant le portrait.

Je le vois enfin. Il y avait un homme, une femme à ses côtés avec un enfant. La femme lui ressemble, ma supposition est que l'homme est son mari, l'enfant; Sardor.

- J'ai défendu Althea dès mon plus jeune âge, ma mère était une infirmière, mon père un soldat, me raconte-t-elle. Ils étaient si fiers de notre nation, et m'ont transmis cette fierté. Je défendais Althea aveuglement, jusqu'à ce que je le rencontre... Abraham. Nous étions tous les deux adolescents. Je le pensais Althéen, mais il me laissait souvent dans l'ombre quant à ses informations.

Cela doit remonter à plus d'une quarantaine d'années. La situation pour les Inimiens à Althea était d'autant plus difficiles à cette époque, les Althéens pouvaient les assassiner dans les rues, sans jamais être puni par la loi.

- Il se rendait à un mémorial, où il passait des heures à prier. Je l'ai rencontré là, pensant qu'il avait perdu des personnes à la guerre. Et il en a perdu, simplement... pas du même camp. Nous nous sommes vu une fois, deux fois, puis j'ai commencé à le chercher à l'école de notre quartier... je ne le voyais qu'à ce mémorial. Nous nous sommes mis à sympathiser, bien qu'il tentait de mettre ses distances.

Elle continue en me racontant qu'il n'a pas pu garder ses distances longtemps, ils sont rapidement tombés amoureux l'un de l'autre. Cependant, elle commençait à avoir ses doutes puisqu'il disait qu'il n'allait pas à l'école, qui était obligatoire pour tous, qu'il ne pouvait se rendre à certains endroits... tout cela était interdit aux Inimiens.

Elle l'a alors confronté, et il l'a avoué : sa mère vient d'Inimia, et son père fait partie des personnes de notre peuple qui n'ont jamais quittés les terres volées de l'ancien Royaume. Il n'était pas Althéen, cependant. Il avait le sang des habitants de l'ancien Royaume, alors il était considéré comme Inimien.

Elle a pleurée, disant qu'elle ne voulait jamais le revoir. Il l'a supplié de l'écouter, cependant elle a refusé. Ils ne se sont vus durant des mois, elle n'a jamais voulu le dénoncer car malgré tout... elle ne le voulait pas mort.

Ils se sont recroisé plus tard, les deux dans un état misérable. Ils ont compris qu'ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre... alors elle l'a écoutée. Elle a écoutée son histoire, son vécu... et a réalisé à quel point Althea était un royaume illégitime, oppressant. À partir de ce moment, tout ce qu'elle savait du bien et du mal a été brisé.

- Je suis devenue une fervente défenseuse d'Inimia depuis ce jour, et mon amour pour lui n'a cessé d'augmenter. Je l'ai présenté à mes parents comme étant un Althéen, et je lui ai permis de construire cette fausse identité pour le sauver. Nous nous sommes mariés, et avons eu notre premier enfant... un joli petit garçon, Sardor. Tout allait si bien, jusqu'au jour où mes parents ont découverts qui il était. Ils l'ont dénoncés, et il a été suspecté de faire partie des rebelles.

Elle s'est arrêtée un instant, me permettant de digérer les informations, et lui permettant de garder le contrôle sur ses émotions. Si tout est tel qu'elle le décrit, alors pourquoi l'avoir trahi ?

- Les autorités l'ont arrêtés une fois. Il a été torturé. Il a réussi à s'enfuir, et pour sa survie, nous avons décidés de fuir tous les trois à Inimia... il a été rattrapé avant, et cette fois... cette fois, je ne l'ai plus jamais revu. Mes parents ont eu la garde de Sardor, l'ont éduqués comme ils m'ont éduqués, lui racontant des mensonges sur son père... et moi, j'ai dû feindre ma maladie... j'ai dû feindre une perte de mémoire complète. Je ne pouvais pas être au courant du seul endroit accessible à la famille royale.

- Tout ce dont je me rappelle est une dispute entre mes parents, me dit Azref. Ils sont sortis du palais durant plusieurs heures, et à leur retour... maman est restée enfermée dans sa chambre des jours.

- L'endroit, répété-je. Parlez-moi de l'endroit, qu'était cet endroit ?! Parlez ! Je promets de ne rien révéler.

Elle semble surprise par mon soudain intérêt. Je me sens déjà bouleversée par le fait que Sardor n'a vécu que dans le mensonge, qu'ils lui ont lavés le cerveau, qu'il déteste son père, probablement décédé maintenant. Mais si elle connaît ce qui a fait perdre à la Reine sa raison...

- Révélez-le au monde, votre Altesse, dit-elle faiblement. Je ne souhaite plus porter le poids de ce secret... j'ai tout perdu... je me fiche de mourir désormais. Écoutez-moi, et rendez-nous justice...

- Parlez enfin!

- ... Des camps. Il existe des camps à Althea. Deux. Un pour les enfants, un autre pour les adultes. Tous sont des Inimiens, des traîtres Althéens, des rebelles... mon mari... a été envoyé là-bas. Ils sont torturés, rendus fou... ils sont traités comme des animaux, et les enfants ne sont pas épargnés. Ils sont brûlés vifs. Ils sont déshabillés, finissant par mourir de froid. Ils relâchent des chiens sauvages sur eux... mon mari m'était revenu, pouvant à peine tenir sur les jambes. Et cela dure depuis des années, sans que personne ne le sache. Seul le roi d'Althea est au courant, et a ordonné la continuation. Ils n'ont plus d'espoir. Ils se laissent mourir, princesse... vous devez les sauver.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now