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Je n'ai pas pu m'endormir cette nuit. Ou très peu.

Azref est arrivé très tard, et s'est rapidement allongé à mes côtés. Mes pensées ne cessaient de tournoyer dans mon esprit. Est-il au courant ? Est-ce lui qui avait donné l'ordre ? Ou est-ce simplement Sardor ?

Une partie au fond de moi espère qu'il est en dehors de tout cela... mais à quel point est-ce probable en étant le prince héritier ?

Il faisait toujours nuit, et je n'arrivais toujours pas à dormir, alors je me lève du lit et me dirige vers le balcon. Je pose mes mains sur la rambarde froide et regarde dans la nuit étoilée. L'air est calme et frais, mais mon esprit est en ébullition.

Je me demande ce que je devrais faire, comment je pourrais protéger mon peuple de ces atrocités, sans me faire prendre et perdre ma propre vie. Je ne suis pas impuissante, je ne suis pas faible, mais je n'arrive tout de même pas à sauver les miens.

Mon regard s'assombrit face à la vue d'Althea. Parfois, pour ne pas dire souvent, je m'imagine détruire ce royaume sans penser un seul instant à ceux qui l'habitent. Détruire ces hommes, ces femmes, qui jouissent de l'oppression des miens. J'aimerais leur infliger autant de douleurs que possible.

Une douleur si horrible que le non-croyant le plus acharné s'agenouillera pour demander l'aide de Dieu.

Où les démons deviendraient des anges, sanglotant jusqu'à la fin des temps, demandant le pardon d'avoir influencé les hommes dans le mal et le péché.

Où leurs cris réveilleraient les morts et les vivants.

Je n'éprouve plus aucun remords, plus aucune pitié dans mon cœur. Tout ce qui m'importe, c'est mon peuple, notre liberté, et que les autres aillent au diable. Après deux cents ans, je le répète... nous en avons assez.

Soudainement, alors que j'étais perdu dans mes pensées, je sens des mains qui me serrent par derrière. Je ne bouge pas, sachant pertinemment que c'est Azref. Il plaque son torse contre mon dos, me serrant entre ses bras et posant sa tête sur la mienne.

- Que fais-tu là ? Me demande-t-il.

- Je n'arrivais pas à dormir, je voulais prendre un peu l'air, lui répondis-je.

Ses mains atteignaient mes hanches, qu'il caressait lentement. Les frissons me parcourent le corps, le vent en est la cause.

- Les servantes de ma mère ont constatés qu'elle va mieux, me dit-il d'une voix douce. C'est grâce à toi... merci.

- Je n'ai rien fais, dis-je en haussant des épaules. Elle-même désire guérir, ce sont ses propres efforts.

Il baisse sa tête, l'amenant sur mon épaule, son nez touchant le creux de mon cou. Mon cœur se met à battre rapidement, mes yeux ne quittant pas le paysage. Ils s'agrandissent légèrement lorsque je me retrouve à penser que le royaume n'est pas si mal que cela.

Les lumières des maisons... le ciel noir devenu lumineux grâce à la lune et les étoiles... je n'avais rien remarqué de cela.

- Tu l'as aidée, tu ne peux pas me faire changer d'avis...

Sa prise se resserre, je ne peux que me concentrer sur la sensation de son toucher. Il y a une fine couche de tissu entre ses mains et ma peau, pourtant, j'ai l'impression qu'elle me brûle.

- Les gardes peuvent te voir d'ici, me murmure-t-il.

- Ils font leur travail, personne ne fait attention à moi, dis-je en haussant les épaules.

Il me tourne brusquement pour que je lui fasse face, ses yeux sont assombris... mais pas dans le mauvais sens, je suppose. Je sentais ce qu'il voulait dire, où il voulait aller. Cependant, j'avais besoin d'entendre une chose. Une simple.

- Azref... Je dois te demander quelque chose, dis-je, les yeux suppliants. Peux-tu être honnête ?

- Dis-moi, dit-il d'un ton curieux.

- ... Tu ne tues pas d'innocents pendant la guerre, n'est-ce pas ? Tu... ne les prends pas pour cible, n'est-ce pas ?

Il écarte les cheveux de mon visage et me regarde intensément dans les yeux. J'ai ressenti un léger espoir naître en moi, et cela m'a fait me sentir souillée. Comment puis-je espérer quelque chose qui, je le sais, s'est déjà produit ?

- Et si je l'avais fait ?

- Je ne pourrai plus jamais te regarder dans les yeux, dis-je, la voix basse et sérieuse.

- Je ne l'ai pas fait, me répond-il enfin. S'il m'en coûte de ne plus pouvoir regarder tes beaux yeux, alors le prix est trop élevé, et cela n'en vaut pas la peine. Je n'ai rien fait, et je ne me salirai plus jamais les mains, je te le promets.

J'éprouve un étrange sentiment de soulagement. J'ai soudain envie de me frapper la poitrine, je ne devrais pas ressentir cela. C'est un sale menteur.

Pourtant, les yeux de ce sale menteur sont si captivants.

- Tu m'obsèdes trop, Della, murmure-t-il, la voix rauque.

Il a fini par l'admettre. Je suis dans son cœur et dans son esprit. Il est tombé dans mon piège, et il me laisse me jouer de lui volontairement. Je pense qu'il était ainsi depuis un certain temps, mais sa mère a été le déclic.

Les hommes ont seulement besoin de se sentir bien, ils ne se soucient pas de l'amour, de la passion, de la romance. Et je le fais se sentir bien, de bien des façons... Je souris en le regardant dans les yeux. Tu n'es pas différent, Azref... Tu es comme tout le monde.

Il s'approche lentement de moi, ses yeux toujours fixés sur les miens. Chaque mouvement, chaque contact de sa main sur ma peau, semble électrisant. Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine alors qu'il se rapproche davantage.

- Et je te désires plus que tout.

Je souris lorsqu'il fait le dernier pas, avant de combler l'écart entre nous et de laisser ses lèvres rencontrer les miennes. Il m'embrasse passionnément, nos langues se fondant l'une dans l'autre, nos souffles ne faisant plus qu'un. Il m'embrasse à plusieurs endroits, mes lèvres, mon cou, ma clavicule, et à chaque fois, il descend plus bas qu'avant.

Je laisse échapper un petit soupir, tandis que ses mains parcourent mon corps. Il me plaque contre le mur, me faisant sentir son corps encore plus contre le mien. Nos respirations deviennent plus saccadées, et il n'hésite pas à me montrer qu'il prend du plaisir par le seul fait de m'avoir près de lui.

Toute cette tension accumulée, tout ce désir qu'il gardait en lui, il me le montre maintenant.

Mes bras autour de son cou, il me regarde, désespéré. Au diable le lit, au diable la chambre, il n'avait pas l'intention de bouger de ce balcon.

- Della, murmure-t-il, la voix tremblante. Ton corps m'a tellement manqué...

- Azref... articulé-je à travers un soupir, mes yeux cherchant les siens dans l'obscurité.

Il capture à nouveau mes lèvres, avant de s'éloigner un instant pour reprendre son souffle. Et à la fin, je n'ai pu m'empêcher de lâcher un petit son de plaisir et il n'a pu s'empêcher de coller son front au mien, fermant les yeux l'espace d'un instant.

Je lui fais peut-être du bien, mais il m'en fait tout autant... 

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now