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Après que Sardor m'a conduit hors de la pièce, je me suis retrouvée toujours perdue dans mes pensées, toujours confuse de la situation. Un médecin vient de se faire exploser la cervelle devant mes yeux, j'ai amené un homme à la folie, une folie extrême au point qu'il se soit donné la mort.

- Que s'est-il passé... ? Dis-je d'une petite voix. Pourquoi a-t-il fait cela ?

- Il semblerait que nous ayons engagé un médecin dérangé. Ne vous inquiétez pas, votre Altesse, m'assure-t-il, cela n'arrivera plus.

Je ne dis rien de plus, je me dirige simplement vers ma chambre. Je pense que je ne suis pas perturbée par le fait que j'ai causé la mort d'une personne, j'en ai déjà causé des centaines auparavant, mais plus par le fait que... que je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Je n'ai pas de pouvoir "magique", je ne peux pas simplement faire perdre la raison à quelqu'un...

- Je vais vous laisser vous reposer, me dit Sardor. Appelez-moi en cas de besoin.

Je hoche la tête puis entre dans ma chambre. Je ferme la porte derrière moi, et me dirige immédiatement vers le sofa. Tout me paraît si étrange depuis que j'ai épousé Azref, et j'en viens à me demander si cela était la bonne décision à prendre. Nous n'agissons pas comme un couple marié, pourtant.

Je m'assois sur le sofa, plongée dans mes pensées. La pièce est calme, mais le tumulte dans mon esprit est assourdissant. Je me sens épuisée, tant mentalement que physiquement. Mes pensées tournoient sans relâche, et je ressens le besoin de comprendre. Je ferme les yeux un instant, tentant de me vider l'esprit.

- Ah... Ah... C'est la fin... ! Hurle-t-il. La fin du monde !

Je rouvre les yeux, revoyant encore la façon dont il s'est jeté sur l'arme, la façon dont il reculait de moi par terre, la façon dont il me regardait... Comme un homme qui voyait face à lui le monde s'écrouler, et face à l'horreur du moment, seul la mort pouvait l'en libérer.

Je ferme à nouveau les yeux et prend une grande inspiration, me forçant à ne pas avoir ce sentiment inconfortable en moi... Je ne devrais pas avoir pitié de lui. Je ne devrais pas ressentir cela. Il a mis fin à ses jours, voilà tout. Et même s'il ne l'avait pas fait, Azref l'aurait fait, comme il l'a fait avec l'autre médecin.

Et cet homme est d'Althea, sa loyauté est pour Althea, et il espère probablement la destruction d'Inimia comme la plupart des gens d'Althea. Des gens qui sont parfaitement conscients qu'ils ont volé nos terres, il y a deux cents ans.

- Cet homme aurait voulu ta mort, s'il avait vu à quel point tu voulais te venger d'Althea.

Je soupire. Le Grand Roi est là, il est à nouveau apparu de nulle part. Je le regarde, j'ai oubliée qu'il sait tout, qu'il est constamment avec moi et qu'il sait sans doute à quel point j'étais bouleversée par ce qui s'est passé dans cette pièce. Il me donnera certainement des explications à ce sujet.

- Grand Roi... Dis-je doucement. Que s'est-il passé réellement dans cette pièce ? Puis-je vraiment pousser quelqu'un à la folie ?

- En théorie, oui. Tu as ce pouvoir. Mais cette fois, ce n'était pas seulement toi. Dit-il en s'asseyant à mes côtés.

Je fronce les sourcils. Pas seulement moi ? C'est lui qui est à l'origine de tout, alors ? Ce serait logique, en effet.

- Qui d'autre ?

- ... Ma sœur, répond-il. Elle était là. Ma douce petite sœur.

Je suis encore plus surprise, était-elle aussi proche de moi ? Oh, mon Dieu... J'ai l'impression qu'un sentiment de soulagement m'envahit. La Grande Reine était là, et c'était sans doute sa façon de me sauver... car s'ils avaient fouillé dans ma tête, tout aurait été gâché.

Et cela me motive encore plus à poursuivre cette mission. Cette vision qu'elle a donnée à ce médecin, je comprends maintenant que c'est sa façon de se venger, de venger son peuple, de venger son royaume.

- Mais comment ? N'était-elle pas... comme endormie ? Lui demandé-je.

- Elle était endormie. Mais pour la première fois, après deux cents ans, après sa... mort, l'histoire s'est répétée en notre faveur. M'explique-t-il.

- ... Moi, appartenant à son sang, me mariant avec le descendant de ce chevalier traître, dis-je doucement.

Il acquiesce. Je fixe le vide face à moi, essayant de comprendre. Pendant ces deux cents ans, nous ne sommes jamais allés aussi loin. Moi, je l'ai fait. Je suis allée jusque-là. Je suis plus près de la victoire, de la liberté, que tous mes ancêtres. Que le Grand Roi lui-même.

- Ma sœur a été poignardée dans le dos. Et maintenant, il est temps de rendre la pareille, dit-il, avec une voix glaciale. Après tout, œil pour œil, vie pour vie.

- Est-ce... Est-ce cela qui l'a réveillée ? Est-ce moi qui l'ai réveillée ? Lui demandé-je.

Il acquiesce presque immédiatement, sans hésiter. J'ai réveillé son âme. Et je ne peux dissimuler mon sourire. Je l'ai fait. 

- Mais... était-ce une pure coïncidence ? Ou le saviez-vous ? Le questionné-je, curieuse.

- Je le savais, dit-il d'un ton neutre. Je savais que tout ce qu'il fallait pour que ma sœur se réveille, c'était de lui donner l'espoir que ce qui lui est arrivé... arrivera à ses ennemis. Et aussi... réveiller sa nature protectrice. Tu es notre famille, après tout. Sa peur que tu vives la même chose qu'elle la fera sortir de ses gonds.

Et elle l'a vraiment fait. Les visions qu'elle a montrées à ce docteur étaient si horribles que j'ai failli vomir, cela ne correspondait pas à sa personne, pour être honnête. Cependant, attendre deux cents ans pour être vengée, entendre les pleurs et voir la souffrance de son peuple sans pouvoir faire quoi que ce soit... Je comprends qu'elle se soit enfin emportée.

- Mais pourquoi ne pas me l'avoir dit ? Je commençais à douter de toute cette question du mariage, dis-je. Je ne savais pas si j'avais fait le bon choix.

- Je voulais voir jusqu'où tu étais prête à aller pour notre Royaume. Et je dois dire que tu ne m'as jamais déçu. Tu es prête à tout, ma chère petite-fille.

Je souris. C'était le compliment dont j'avais besoin, tant que je ne déçois pas cet homme, le plus grand homme que le monde ait jamais connu, je n'ai besoin de rien d'autre.

- Je comprends. Ne vous en faites pas, mon Grand Roi, mon devoir est clair. Et je ne faillirai pas, jamais. En tant que princesse d'Inimia, je...

Je n'ai pas pu finir ma phrase. Mes yeux se sont écarquillés lorsque j'ai vu une servante près de la porte. Elle me regardait avec crainte, lorsque je l'ai remarquée. Je ne pouvais plus bouger. Mince. Elle a immédiatement ouvert la porte et s'est enfuie rapidement, mais pas assez rapidement...

Puisque j'ai vu son visage.


L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant