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Inimia n'a pas connu le moindre moment de paix depuis le mois dernier. Tous les abolitionnistes, présumés ou avérés, ont été arrêtés et interrogés par nos soldats. Qui a vu la princesse ? Qui a entendu parler d'elle ? Personne ne le sait. Certains soldats se mettent à parler de la mort, ne croyant pas qu'elle puisse être en vie après tout ce temps.

Mais moi, j'y crois. Je suis convaincue que ma sœur est en vie.

- Je ne sais plus quoi faire, dit mon père, la voix faible. Je commence à penser à renoncer à nos terres perdues... à nous contenter de celles que nous avons. Tous ces soldats morts, tous ces civils morts... ma fille... Cela en vaut-il la peine ?

- Oui, cela en vaut la peine. Dis-je pour la première fois. J'avais la même opinion que toi, père, mais plus maintenant. Della s'est battue avec tout ce qu'elle avait pour la liberté, crois-tu qu'elle accepterait ce que tu dis ? Elle s'opposerait à tout le monde, même à nous, si nous sommes sur son chemin vers la liberté. Je continuerai le combat de ma sœur, jusqu'à son retour.

- Je suis d'accord avec la princesse Freya, poursuit le duc Valerius. Nos ancêtres ne se sont pas battus pour que nous abandonnions, et si nous signons la paix avec Althea, alors ce sera la fin d'Inimia. Des rébellions éclateront partout, et... les abolitionnistes auront leur heure de gloire. Ce n'est pas une bonne idée, Votre Majesté.

Mon père soupire. Je sais qu'il est fatigué, et je sais très bien que s'il ne souhaitait pas que je porte le lourd fardeau de la couronne, il m'aurait déjà couronnée reine. Mais je ne peux pas... tant qu'il est en vie, je ne peux pas lui prendre la couronne.

- J'ai le sentiment qu'Althea est impliquée pour ma sœur. Qu'ils savent où elle est, dis-je.

- Mais nous n'avons aucune preuve, dit le Duc. La seule preuve que nous ayons concerne la milice du nouvel ordre.

Et c'est ce qui me ronge de l'intérieur, le fait d'avoir une intuition concernant l'endroit où elle se trouve, mais de ne pas avoir de preuve concrète pour que quelqu'un s'en occupe.

- Et la dernière chose que j'ai entendue à propos d'Althea, c'est que le prince héritier s'est marié, ajoute le Duc. Personne ne sait qui elle est, et je ne sais pas si cela peut vraiment nous aider, mais enfin...

Papa se couvre le visage avec ses mains, en soupirant. Je garde mes mains sous la table, tentant de ne pas montrer à quel point cette situation me stresse également. Je le reconnais, je n'ai jamais été forte... Mais je le dois cette fois pour Della, je dois faire mon rôle de grande sœur pour une fois.

- Nous devons réussir à introduire un espion dans le palais d'Althea, dis-je. Ce sera la seule manière de savoir s'ils ont Della, ou non.

- Et s'ils ont Della, qu'allons-nous faire ? Demande mon père.

- Nous allons mobiliser tous nos soldats pour la guerre, dis-je d'une voix ferme. Cette fois, ce sera Inimia ou Althea. Soit nous mourrons, soit nous gagnons. Peu importe le prix, je récupèrerai Della.

Le Duc Valerius ne dit rien, conscient que c'est probablement le seul choix que nous avons. Les petites batailles entre les soldats à la frontière ne servent à rien, si ce n'est causer des morts inutiles. Ce qu'il nous faut est une guerre sans précédent.

- Bien... Je vais rester seul, pour réfléchir à nos futurs plans. Me prévient mon père.

Je hoche la tête, puis me lève et sors de son bureau, suivis du Duc. 

- Princesse Freya... M'interpelle-t-il. Avez-vous véritablement espoir de retrouver votre sœur ?

- Oui, affirmé-je. Je ne mourrais pas avant de revoir ma sœur en vie.

Il acquiesce, et cette conversation a pris fin. Je n'ai pas voulu la prolonger. Je marche rapidement dans les couloirs, et me dirige vers ma chambre. Je ferme la porte derrière moi, et m'effondre au sol. C'est si dur de contenir mes émotions face à mon père, face à tout le monde... Ils attendent tous de moi de garder la tête haute, étant l'unique héritière du Royaume.

Ma sœur est quelque part dans ce monde, et je ne suis pas assez puissante pour la retrouver. Je dois rester dans ce palais, tous craignant qu'il ne m'arrive quoi que ce soit. Et je dois voir Madame, chaque matin, chaque soir... voir que chaque jour de plus de la disparition de Della ajoute à sa joie.

Je n'ai même plus de larmes, je n'ai qu'un profond désespoir, m'empêchant de respirer. Ma petite sœur, ma Della... cette petite enfant qui m'a sauvé de l'abysse des ténèbres, qui m'a tenu la main et ne l'a jamais lâchée depuis la mort de maman. Sans elle, je ne serais plus en vie. Et désormais, mon âme ne tient plus qu'à un fil.

- Ne sois pas si rebelle, Della, lui dis-je. Tu dois montrer une bonne étiquette, comme le professeur l'a dit.

- Quand ils te rendront heureuse, j'arrêterai d'être rebelle. 

Les larmes commencent à me monter dans les yeux, et une boule se forme dans ma gorge. Je pose mes mains devant ma bouche pour m'empêcher de faire le moindre bruit.

- Quel est le rapport avec ma joie, et ta rebellion ? Lui demandé-je.

- Tu dis jamais rien, je sais que t'es pas heureuse que les gens te traitent comme une reine alors qu'on n'est que des enfants ! Je serai rebelle pour nous deux, jusqu'à ce qu'ils te laissent jouer comme tu veux !

- ... Mais Madame te gronde toujours à cause de ça, alors n'agis pas pour moi, s'il te plaît.

- Je me fiche qu'elle me gronde. Elle l'a fait ce matin, mais regarde, tu joues avec moi dans la boue au lieu de faire tes ennuyeuses leçons. Je ferai tout pour toi tant que tu souries.

As-tu disparu pour moi, cette fois encore, Della ? En suis-je la responsable ?

- Princesse ! Princesse !

Je relève la tête, entendant des cris à l'extérieur du palais. Je me lève du sol, et sèche mes larmes avant de m'approcher de ma fenêtre. Mon cœur rate un battement en voyant la scène qui se déroule sous mes yeux... des centaines, voire milliers d'hommes et de femmes se tiennent devant le palais.

- Ouvrez la frontière ! Scandent-ils. Nous allons récupérer notre princesse ! Ouvrez la frontière !

Mes yeux s'écarquillent. Les soldats les retiennent avec difficultés, alors qu'ils continuent à hurler ces mêmes mots. "La mort ou le retour de notre princesse", disent-ils. Et un petit sourire se dessine sur mon visage.

- Reviens à la maison, Della... Chuchoté-je. Ta famille, ton peuple t'attendent.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now