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J'ai entendu des gens murmurer derrière les portes de ma chambre, alors je me suis levée et j'ai tenté de tendre l'oreille. Ce n'était pas difficile, à vrai dire. Les employés parlent si bruyamment, pensant probablement que je suis trop occupée pour les entendre.

- Comme ils sont stupides ! Inimia les a abandonnés depuis des années, comment peuvent-ils encore les défendre ? Dit l'une d'entre elles.

- Ils espèrent toujours que l'Ancien Royaume reviendra. Tsss, ces chiens infidèles, délirants et ingrats.

- Maintenant, nous nous sommes débarrassés d'eux, dit une autre. Leurs garçons doivent servir dans l'armée, leurs enfants sont protégés par notre État et leurs maisons sont les nôtres. Nous ne pouvons pas continuer à nourrir des terroristes.

Je fronce les sourcils. Est-ce qu'ils parlent de... mon peuple ?

- Althea aurait dû les expulser dès le premier jour, ils n'ont rien à faire chez nous.

- Je suis du même avis. Maintenant, j'aimerais voir leurs visages quand ils apprendront que leur princesse ne se souvient même pas d'eux, dit l'une d'elles en riant, que tous leurs combats n'ont servi à rien.

Et je les entends s'éloigner en riant. Je me précipite à la fenêtre, regardant la capitale d'ici. Mon peuple. Que font-ils à mon peuple ? Maudit soient-ils ! Maudit sois-tu, prince de l'enfer ! Toi, ton père et tous tes ancêtres !

- Grand Roi, j'ai besoin de vous, murmuré-je. Grand-père, dites-moi, tuent-ils notre peuple ? Que puis-je faire pour les sauver ?

Je regarde par la fenêtre, mais je ne sais même pas où je regarde. Je savais que mon peuple était persécuté ici, qu'il se faisait remplacer par des gens venant de la patrie du chevalier traître... Mais aujourd'hui, j'ai l'impression que quelque chose de nouveau s'est produit.

- Ils te testent, entendis-je.

Je me retourne et je vois le Grand Roi assis sur l'une des chaises. Je me calme et je le regarde dans les yeux. Je sens la rage m'envahir.

- Ils en parlent près de ta chambre pour te tester, voir comment tu vas réagir. Continue-t-il. Tu ne réagiras donc pas, tu ne laisseras pas transparaître la moindre pensée sur ton visage.

- Qu'ont-ils fait ? Lui demandé-je.

- Notre peuple a demandé ton retour, ils ont découvert ta disparition... Ils ne sont pas dupes, ils savent qu'Althea est derrière tout cela. Répond-il. Le roi les a punis pour cela, il a confisqué leurs maisons, envoyé les jeunes hommes à l'armée où ils seront probablement torturés, et enlevé nos enfants à leurs parents.

- Quoi ? Murmuré-je.

Ma voix était à peine audible, mes yeux écarquillés, c'est... c'est de cela dont ils parlaient. C'est ce qui les rendait heureux... Je n'en ai jamais été témoin auparavant, et maintenant, je le vois. Je l'entends. Comment peuvent-ils être aussi heureux lorsque mon peuple souffre ?

- C'est ainsi que les choses se sont passées pour notre peuple sur ses propres terres au cours des deux cents dernières années, soupire-t-il. Tu le sais, Della. Pourquoi es-tu surprise ?

- Je le sais, je sais qu'ils ont vécu pire encore... Pour la première fois, je suis aussi près d'eux, je suis là où ils sont, mais je ne peux rien y faire.

- Tu ne peux et tu ne feras rien, Della. Dit-il, sérieusement.

Je baisse les yeux. Je veux pourtant faire quelque chose. Comment puis-je rester assise là, ainsi, sans rien faire ? C'est une torture. Le Grand Roi se lève, se dirige vers moi puis me tient par les épaules.

- Écoute-moi bien, Della. Tu vas reprendre ton calme, et continuer à agir froidement. Entendu ? Tu ne feras rien. Rien du tout.

Je vois dans ses yeux la même haine que la mienne, je fixe des yeux qui me paraissent trop familiers. Des yeux qui sont les miens. Comme si je ne regardais pas un fantôme, mais moi-même, un reflet de moi-même dans un miroir.

- Nous vivons, nous nous battons et nous mourons pour notre peuple, pour notre terre, mais à présent, tu dois te persuader que tu n'es pas l'une des nôtres. Dit-il, avec une grande détermination. Pour que tu puisses survivre, tu devras considérer le monde entier comme ton ennemi. Tous. Les gens d'Inimia, les gens d'Althea, tout le monde dans ce palais... tous sont tes ennemis. Tu ne te soucieras pas d'eux. Tu n'as qu'un seul allié, et c'est moi. C'est le sacrifice que tu dois faire pour nous.

Mes mains se mettent à trembler, mais je les retiens. Je ferme les yeux une seconde et je respire profondément.

- Croire cela te sera utile plus tard... Si jamais tu dois les torturer, ou faire quoi que ce soit qui aille à l'encontre de tes convictions.

- ... Vais-je devoir le faire ? Demandé-je, en espérant que la réponse soit négative. J'ai promis de tout faire pour protéger notre peuple, je ne peux pas rompre cette promesse.

- Tu feras tout ce qu'il faut, c'est ta mission, Della Avalorn. Ma petite-fille. Tu mentiras, tu tueras, tu ne tiendras pas tes promesses, tu trahiras. Tu seras le mal incarné, le diable en personne, ton âme sera tellement entachée que la rédemption sera aussi inaccessible que le soleil. Dit-il, avec un sérieux qui me fait frissonner. Tu utiliseras tout ce que tu as, ton âme, ton corps, ton esprit. Rien ne te sera impossible. Même si cela contredit ta moralité, même si tu ne parviens pas à t'endormir à cause des cauchemars.

Et j'ai pris peur. Non pas en raison de ce qu'il a dit, mais plutôt parce que je le ressens. Je me sens devenir lui. Je deviens ses mots. Je m'en sens capable. Je suis capable de le faire. Je tenterai sûrement de ne pas en arriver là, mais s'il le faut, je saurai le faire.

Le Grand Roi s'agenouille devant moi et me tient les mains. Mes yeux s'écarquillent encore plus devant son geste soudain, et je me mets à lui marmonner de se lever. Il ne bouge pas.

- Aujourd'hui, ce sont tes ennemis qui ont été châtiés. Et c'est dans ce sens que tu agiras avec le prince. N'oublie pas, mon enfant, que partout où tu vas, tu es sur un champ de bataille. Tu es un soldat sans épée. Ne baisse jamais ta garde. Jamais.

- Merci, grand-père. Vous pouvez être sûr que je ferai ce qui doit être fait. Dis-je, avec la même fermeté. Je ne suis pas faible et je vous le prouverai.

Il acquiesce en souriant. Je respire profondément. Je n'avais jamais eu pitié de moi-même lorsque j'étais entre les mains de Madame, je le ferai également avec le monde entier.

Je le ferai.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now