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Le cercueil de Sardor est prêt à être amené au cimetière. Azref a permis à Luzia de rester avec lui un instant, alors je me suis permise de m'approcher d'elle. Je dois lui communiquer un avertissement sans être trop explicite.

- Comment osez-vous... ? Me dit-elle, la voix tremblante. Comment osez-vous venir là ?

Je ne dis rien, le regard vide, le visage impassible, alors que Luzia semblait perdre la tête. Elle me fait face, le corps entier tremblant de rage.

- Sardor le savait... il savait que vous n'aviez pas perdu la mémoire ! Dit-elle, les larmes aux yeux. Et cela était si évident pour moi... vous...

- Si tel est le cas, cela ne me rendrait-il pas plus dangereuse ? Cela ne te fera-t-il pas plus peur, Luzia ?

Je m'approche d'elle, et lui relève le menton entre mes mains, en la regardant droit dans les yeux. Je la sens frissonner, la douleur de le perdre persiste dans ses yeux.

- Il a reconnu avoir massacré ton peuple, es-tu si aveugle pour rester à ses côtés ?

- C'est son devoir, nous sommes ses ennemis, à quoi vous attendiez-vous ? C'est ce que les gens d'Inmia ne comprennent pas, nous sommes autant dans le tort qu'eux. Mais ils doivent se défendre. Pourquoi leur en vouloir autant ?

Mon regard s'assombrit, alors que mon corps et mon visage ne bougeaient toujours pas. Est-elle vraiment en train de justifier les actes d'Althea ? Cette femme sans vergogne.

- Ton frère est mort pour sa patrie, tout cela pour que de telles inepties soient prononcées ? Tout cela pour un homme qui se jouait de toi.

- Il ne s'est pas joué de moi ! Réplique-t-elle, les larmes aux yeux. Il m'aimait et je l'aimais ! Je me suis donnée à lui volontairement ! Quoi qu'il ait fait, je l'ai toujours aimé. Je ne choisirais jamais ma patrie au détriment de l'amour, jamais !

J'attrape ses bras et la tire violemment vers son cercueil, elle laisse échapper un cri de douleur, je m'en moque. Je la force à le regarder, même lorsqu'elle essaie de détourner le regard.

- Regarde, petite idiote ! Cet homme est peut-être celui qui a tué ton frère, cet homme pourrait tuer ton père et anéantir toute ta lignée. Et pourtant, tu es là à me parler de... l'amour ?

Je l'attire à nouveau vers moi et pose ma main sur son cou. Elle est plus frêle que moi, elle ne peut pas énormément me résister. Heureusement, Birsan est à l'extérieur de la pièce, gardant la porte, me permettant ainsi d'avoir une conversation convenable avec Luzia.

- Cela fait deux cents ans que nous nous battons pour récupérer notre terre, pour combattre ces démons, et combien ont aimé et tué leurs amants pour cette même terre ! Dis-je, la voix dure. Tu... Tu es notre honte, la honte de cette terre, la honte de ta famille, la honte de la Grande Reine qui repose tourmentée entre ces murs.

- Je ne suis pas vous ! Dit-elle. Je ne suis pas une meurtrière ! Je ne suis pas pleine de colère ! Nous sommes faibles, et en tant que tels, nous devons en payer le prix ! Ces soi-disant Grande Reine et Grand Roi sont morts et ne nous ont laissé que le désir d'un bain de sang ! Vous êtes une meurtrière, princesse Della, si vous vous croyez innocente parce que nous avons été opprimés, vous vous trompez.

- Je suis une meurtrière, oui, je ne le nie pas. J'ai souillé mes mains pour que notre peuple n'ait pas à le faire. Nos soldats meurent tous les jours, des innocents sont affamés, bombardés et torturés. Où est ton sens de l'empathie ? Où est ton sentiment d'appartenance ? Tu es une traître, et tu ne sais toujours pas à quel point je déteste les traîtres.

Elle respire bruyamment. Après cette conversation, je ne devrais pas la laisser vivre. Elle pourrait me dénoncer, car elle ne semble pas disposée à accepter la vérité. Il lui a fait un lavage de cerveau.

- Vous êtes également une traître, vous vous êtes mariée au prince d'Althea, et comme vous êtes une honte pour toutes les femmes avec votre impureté, votre non-chasteté, vous devez avoir déjà couché avec lui, ai-je tort ? Si je suis une traître, vous l'êtes encore plus. Pensez-vous que je ne voyais pas comme vous le regardiez ? Comme vous le réconfortiez ? Vous êtes aussi éhontée que moi, mais je l'accepte. Vous le niez.

Je ne réponds pas. Je n'ai pas besoin de me prouver à quiconque. J'ai couché avec lui, je me suis sacrifiée, j'ai sacrifié mon corps, tout pour cette cause. Je peux mourir demain, si je fais la moindre erreur, mais je reste pour que mon peuple, ma famille soient en sécurité et aient une chance de connaître la liberté.

- Je te donne le choix, Luzia, demain, tu retourneras à Inimia et tu demanderas pardon à ton père. Tu lui annonceras que sur ordre royal, tu devras rendre visite à chacune des victimes des attaques d'Althea. Que ton esprit retrouve le bon chemin.

- Je n'y retournerai pas. Je resterai sur la terre où mon amant est mort, dit-elle, défiante.

Il me suffit de serrer son cou plus fort pour mettre fin à sa vie misérable. C'est ce que mérite un traître : la mort. Elle pourrait rejoindre l'amant qu'elle aime tant, au point de ne plus se soucier de son peuple et de sa terre.

- J'ai beau te menacer de t'ôter la vie, ta douleur ne te fera pas croire que c'est une mauvaise idée... alors je vais te le dire une fois, Luzia. Si, à la fin de cette semaine, mes espions ne m'ont toujours pas dit que tu as franchi la frontière et que tu es retournée chez ton père... sois sûre que je n'hésiterai pas à prendre sa vie. Tu as perdu ton frère, veux-tu perdre ton père aussi ?

- Non... vous ne pouvez pas faire cela ! C'est mon choix, vous ne pouvez pas me forcer à y retourner ! Vous ne pouvez pas tuer mon père pour mes choix !

- Je le peux tout à fait, dis-je fermement. Mais cela ne devrait pas être un problème pour toi, n'est-ce pas ? Tu es prête à soutenir Althea, un royaume que ton père n'hésitera pas à combattre jusqu'à son dernier souffle. Cela arrivera forcément, un jour ou l'autre.

Je la relâche et m'éloigne d'elle.

- C'est à toi de choisir, la vie de ton père dépend de toi. Et encore une chose, si jamais tu penses à me dénoncer, j'ai des espions dans tout le palais et à l'extérieur, ils le sauront.

Elle me regarde d'un air effrayé avant de s'enfuir en courant. Je connais ce regard. Je fais un sourire en coin, sachant que c'est une bataille que j'ai gagnée. Elle repartira certainement et ne me posera pas beaucoup de problèmes.

Maintenant, place à Azref. 

L'ombre écarlateOnde histórias criam vida. Descubra agora