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Après ma conversation avec Luzia, je suis retournée dans ma chambre où Azref était allongé sur le lit, les bras au-dessus de la tête et le regard fixé sur le plafond. Il redresse légèrement la tête lorsque je m'assois à côté de lui.

- Tu es revenu, dit-il, doucement.

Cette fois, il ne repose pas sa tête sur le lit mais sur ma jambe, en soupirant. Je n'ai pas l'habitude de le voir ainsi. Toutes les émotions qu'il dissimulait sont revenues à la surface.

- Je pensais que tu ne voudrais pas me voir, dis-je d'une petite voix. Pas après ce qui s'est passé avec...

- J'ai perdu un frère, Della, dit-il en me coupant la parole. Mais il a choisi cette voie pour lui-même. Et si je l'avais gardé en vie, il aurait essayé de te faire du mal à nouveau. Et... Je ne sais pas, t'avoir à mes côtés, c'est...

Il peine à trouver ses mots, et je suis figée. Je pensais qu'il m'en voudrait, même un peu... Pourtant, il me regarde avec des yeux si vulnérables et ses mains caressant mes joues étaient si délicates.

- C'est réconfortant. Tu... Tu me fais du bien, Della, dit-il doucement. Autant je me sens blessé par cette décision et sa trahison, autant je suis reconnaissant que tu sois à mes côtés. Le réconfort que tu m'as apporté lorsque j'étais face à lui a beaucoup compté pour moi. Sans toi, je pense que je n'aurais pas pu tenir le coup.

Je souris tandis qu'il lève les yeux vers moi et que je les baisse vers lui. Mes cheveux retombaient devant moi, formant comme un voile autour de nous deux, nous séparant du reste du monde. Il semble sincère dans ses paroles.

- Je te l'ai dit, je serai toujours là pour toi... dis-je en souriant. Dans la facilité comme dans les moments difficiles.

- Promis ?

- Promis.

Une promesse vaine, une promesse que j'avais déjà l'intention de ne pas tenir. Ou peut-être pas tout à fait... Je resterai près de lui jusqu'à sa mort. N'est-ce pas un "toujours" ?

- Tu sais, tu me rappelles quelque chose... Commence-t-il. Tu me rappelles un rubis.

- Un rubis ?

- Oui. Une pierre précieuse si belle et si puissante. Parfois, elle ressemble à un feu écarlate... Un feu qui est censé instaurer la peur, et pourtant tout le monde reste hypnotisé par sa beauté. Tu es ainsi. Une beauté dangereuse. Une personne que je ne devrais pas approcher, et pourtant je ne peux m'en empêcher.

Mon cœur se met à battre à toute vitesse, tandis que ses yeux s'adoucissent davantage. Ma description a toujours été celle d'une diablesse, d'une manipulatrice, d'une tentatrice, d'une meurtrière.

- Tu m'obsèdes, Della, murmure-t-il. Je ne sais pas ce qui m'arrive, et je ne veux pas que cela cesse.

Je l'écoute parler, comprenant enfin que mon but est atteint... si même la mort de son ami d'enfance ne l'a pas fait douter de moi, cela ne veut dire qu'une chose ; j'ai sa confiance complète et aveugle.

- Tu dis cela seulement parce que tu te sens mal, dis-je, détournant le regard. Lorsque tout ira bien, tu oublieras tout ce que tu viens de me dire.

Il se relève, l'air offensé. L'avoir entre mes mains ne m'empêchera pas de continuer à jouer.

- Non... non, Della... je n'oublierais rien ! Se défend-il. Tu es la seule avec qui je me sens aussi bien... je n'ai personne d'autre que toi, tu...

- Et ta mère ?

- ... Ma mère, dans sa situation, ne souhaite pas me voir. Elle m'aime au fond d'elle, et je l'aime... mais c'est différent. Tu m'écoutes, Della, tu me comprends... j'en arrive même pas à penser que je ne suis peut-être pas le monstre que je pensais être.

Oh, mais tu l'es totalement.

Il repose ensuite sa tête sur mon épaule, fermant les yeux. J'ai l'impression qu'il est un enfant, plus que tout, qui cherche du réconfort chez la première personne qui lui sourit. Qui court derrière chaque personne, suppliant d'avoir, ne serait-ce qu'un peu d'attention.

Il n'a pas réagit lorsque son ami a avoué massacrer les nôtres.

La voix du Grand Roi résonne dans mon esprit pour la première fois, depuis plusieurs semaines déjà. Mon cœur est réconforté par cette présence familière, tout de suite remplacée par une vague de haine traversant l'entièreté de mon corps.

Il a raison. Azref n'a pas réagit. Et si le seul crime de Sardor était cela, je suis certaine qu'il n'aurait reçu rien de plus qu'un avertissement. Bien qu'il se soit adouci à moi, lui, comme tous les autres, considèrent mon peuple comme tout sauf des êtres humains.

Face à mon silence, Azref relève la tête à nouveau. Je pose mes mains sur ses joues, en lui faisant un léger sourire, puis pose mes lèvres sur les siennes. Il se retrouve surpris que j'ai prise l'initiative, mais ne s'en plains pas.

Ce n'était pas un long baiser, mais assez pour lui faire perdre la tête. Ses mains jouaient avec mes doigts, alors que ses joues prenaient une teinte rougeâtre.

- Tu sais comment me faire oublier mes problèmes... dit-il doucement. Tes cheveux portent bien la couleur de mes sentiments.

Je reste proche de lui, ne permettant aucunement à ses pensées de dériver de moi. Toute son attention doit rester sur moi, et moi seule.

Tu t'en sors bien, Della, dit le Grand Roi dans mon esprit. Tu peux le manipuler à ta guise, maintenant.

Je lâche un sourire en coin. Il est à moi, c'est vrai. Corps et âme. Nous restons alors dans la même position jusqu'au soir, le silence entre nous en disait déjà beaucoup. Je me sens frémir rien que de penser au fait que je suis la seule, de tous mes ancêtres, à être allée aussi loin. Son ancêtre doit se retourner dans sa tombe.

Et voilà que nous passons le reste de la soirée dans les bras l'un de l'autre, à nous embrasser passionnément quelques fois, sans jamais aller plus loin, et à d'autres moments, il s'arrêtait pour me contempler et me caresser le corps tendrement.

Je sais ce qu'il désire, cependant je ne lui permets de l'avoir... moins je lui permet de m'avoir quand il le désire, plus il me courra après. Il est parfois bon de se faire désirer.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now