2.

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Je regarde par la fenêtre, les mains dans le dos. Le palais est si haut que tout semble au-dessus de nous. Enfin, ils ne semblent pas, ils le sont. Mon père et moi sommes supérieurs à tout le monde. Ce n'est même pas un peut-être, c'est un fait. Un fait indéniable. Nous sommes, après tout, les descendants du grand fondateur de notre royaume.

Althea.

- Votre Altesse, j'ai de mauvaises nouvelles. Dit l'un de mes gardes. Elle...

Je ne l'ai pas vu, mais je devine qu'il a le visage baissé, gêné. Ils devraient l'être. Ils sont incapables d'accomplir une simple tâche.

- Elle est toujours en vie, continué-je. En vie et en parfaite forme. Comme toujours.

- Nous avons essayé, mais...

- Qu'ai-je dit ? Dis-je en me tournant vers lui et en le foudroyant du regard. Il n'y a pas à essayer. Soit vous réussissez, soit vous échouez. Il n'y a pas d'essai. Et dans ce cas, vous êtes tous des ratés.

Il garde la tête baissée, n'osant pas me regarder. Je ne suis pas en colère, à vrai dire. Je savais que cela allait arriver. Si quelqu'un peut tuer un membre de la royauté, c'est bien un membre de la royauté lui-même. Mais la princesse d'Inimia... La petite princesse, je la vois comme un divertissement. Personne ici n'a la même valeur que moi, personne ne mérite mon attention, et je m'ennuie facilement.

Sans le savoir, elle est devenue mon jouet, ma distraction.

- Quitte ma vue pour aujourd'hui, dis-je froidement, ta présence est déjà bien assez inutile.

Le garde s'en va, et je reste avec mes pensées. Elle m'enverra bientôt un autre mercenaire. A ce stade, nous tuerons tous les mercenaires avant de nous entretuer. C'est la dernière fois, alors je la tuerai moi-même.

Je me demande à quoi elle ressemble. Je sais qu'elle n'est pas une femme chaste, elle se donne si facilement qu'il peut être égal pour elle de tenir une pancarte disant qu'elle ne souhaite pas se marier de son vivant.

Mais elle doit être très belle pour attirer autant d'hommes. Et cela me rend curieux. Je vais la regarder et l'étudier avant de la tuer.

Et après elle, le jeu sera terminé. Le divertissement sera terminé. J'ai entendu dire que c'est elle qui protège sa sœur, alors je ne pense pas qu'il sera très difficile de tuer l'héritière après avoir tué la petite princesse. Après l'héritière, ce sera au tour du roi, et leur royaume sera le nôtre.

Alors que j'étais perdu dans mes pensées, quelqu'un frappe à ma porte. J'autorise la personne à entrer, et quand je me retourne, je vois l'un des gardes de mon père. Et je sais très bien ce que cela signifie. Il me dit que mon père me demande, alors je le suis. Mon regard devient vide, mes pas se font plus froids, menaçants, plus lents.

Je dois ressembler à un prédateur, ainsi je ne serai pas une proie à ses yeux.

Le garde frappe à la porte de son bureau, puis quand mon père m'autorise, j'entre à l'intérieur. Le garde ferme immédiatement la porte derrière moi, et je regarde l'homme en face de moi, assis sur sa chaise.

- J'ai entendu dire que la fille est toujours en vie, dit-il, sa voix glaciale.

Elle l'est, répondis-je d'une voix monotone. Elle s'est révélée être plutôt résistante, père.

- Ne t'ai-je pas dit que je ne supporte pas que tu m'appelles père quand tu échoues de la sorte ?

Je serre les poings, mais je ne dis pas un mot, sauf pour m'excuser. Des excuses insincères. Cela fait quelques jours que je ne l'ai pas vu et que le poids qu'il fait constamment peser sur mes épaules avait disparu pour quelques instants. Je pouvais prendre soin de qui je voulais, sans qu'il me rappelle à quel point je suis un échec.

- Je te donne dix jours pour mettre fin à sa vie. Me dit-il.

- Je le ferai. Je n'enverrai plus aucun mercenaire, je m'occuperai moi-même de cette affaire, soyez-en sûr. Le lui assuré-je.

- Très bien. J'espère que ce ne seront pas de vaines promesses comme d'habitude, me dit-il, plongeant son regard dans mes yeux vides. Parce que je n'aurai aucun scrupule à avoir gaspillé vingt-cinq ans de ma vie à élever une progéniture indigne, je te remplacerai en un clin d'œil.

Je hoche la tête. Je le sais bien. Et j'ai appris par cœur toutes ses paroles, à quel point il me les répète souvent.

- Quoi qu'il en soit. Comment va-t-elle ? Me demande-t-il. J'ai entendu dire que sa maladie s'était aggravée en mon absence.

- Elle va bien, dis-je rapidement. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, elle va bien et elle est en vie.

- Je ne suis pas du tout inquiet. Tu devrais t'inquiéter, puisque tu es celui qui la maintient en vie. Tu es celui qui ne veut pas la laisser partir, en raison de ta lâcheté.

Je détourne le regard. Je n'aime pas parler d'elle avec lui, alors j'essaie de changer de sujet.

- Je vais franchir la frontière d'Inimia, dis-je d'un ton sec. J'aurai besoin de certains de vos gardes pour la dégager avant de tuer la princesse.

- Je crois que tu n'as pas compris une chose : je ne t'aiderai pas. Tu es mon héritier, même si je déteste l'admettre, mon aide ne sera donc pas requise. Tu t'en chargeras toi-même. Ne te fais pas tuer, c'est tout ce que je te demanderai, sinon tu me mettras dans une situation difficile.

J'ai envie de lui rire au nez, mais je ne peux pas. Cet homme a tellement de pouvoir sur moi, plus que je ne veux l'admettre. Je ne suis pas sa progéniture, je suis en réalité son esclave. Même un esclave aurait plus de valeur que moi à ses yeux. Toutefois, je ne m'en plains pas. J'ai cessé d'implorer son amour, et pour arrêter la douleur qui l'accompagne, j'ai enterré mon cœur profondément dans la terre souillée. À cause de lui, je ne ressens plus rien. Le seul moment où je ressens quelque chose, c'est quand je torture et tue quelqu'un... oh, comme c'est jouissif.

Et je sais pertinemment que si je deviens un jour un roi ou un père (ce dont je doute fortement), je deviendrai lui, la personne que je détestais le plus. Je ne serai pas différent de lui, je serai même pire. Oui... Je serai pire.

Si je deviens roi, sans parler d'Inimia... je détruirai tous les royaumes sur lesquels je pourrai poser les yeux. C'est mon serment, c'est le serment du prince d'Althea. Je promets d'être pire, je promets d'apporter le chagrin, la douleur, la destruction et la peine au monde entier.

Et mon cher père sera le premier à y goûter.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now