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Azref s'est réveillé.

Il ne souhaitait voir personne, alors, après les vœux de rétablissement de tous, y compris de son père, chacun s'en est allé, me laissant seul avec lui. J'étais sur le point de partir à mon tour, cependant il m'en a empêchée.

- Tu ne vas pas me dire qui t'a poignardé ? lui demandé-je.

- Ma ravissante femme l'a déjà tué pour moi, n'est-ce pas ? Me taquine-t-il avec un petit sourire en coin.

Je roule des yeux, toujours aussi agacée. Il s'est réveillé, toujours aussi hautain, comme si rien ne s'était passé. Il n'en veut même pas à celui qui l'a poignardé, il n'a pas dit un mot à Sardor - bien que le roi soit parti avant lui - et ne lui a pas ordonné de tuer cette personne. Soit il s'agit de quelqu'un qu'il tente de protéger, soit il s'est déjà occupé de cette personne.

Il est peu probable que ce soit la seconde éventualité, sinon il s'en vanterait et aurait répondu à ma question.

Alors, de qui s'agit-il ?

- Cesse de penser à ces choses inutiles. Réjouis-toi que ton mari soit en vie.

- Je savais que tu n'allais pas mourir, dis-je d'une voix posée.

- Ah oui ?

J'acquiesce, tout en continuant à le regarder dans le coin de la pièce, en me tenant au mur et en gardant les bras croisés.

- Les idiots comme toi ne meurent pas si facilement.

Il rit, posant sa main sur l'endroit de sa blessure. Il ne s'est pas plaint un instant de sa douleur, pourtant je le sais qu'il a mal.

- Étais-tu si inquiète pour moi, pour être en colère à ce point ? Me demande-t-il d'un ton moqueur.

- Non. Tu m'as embrassé.

- ... Je t'ai embrassé ?

Comme je l'imaginais, il ne s'en rappelle pas. Il a l'air plus confus que je ne l'étais.

- Je t'ai embrassé... alors ce n'était pas qu'un rêve, dit-il d'une petite voix.

Je m'approche de lui, l'air menaçante. Il me lançait un sourire narquois, me suivant du regard. Si cet imbécile tombe amoureux, je vais devoir l'embrasser autant de fois qu'il le faudra pour le garder de mon côté.

Azref peut être par moment un homme très intelligent, mais il reste un homme.

- Tu sembles l'avoir détesté, remarque-t-il.

- Étais-je censé apprécier un baiser de l'homme que je haïs ? Rétorqué-je, d'un ton dur.

Ma réponse semble le dérouter, comme s'il ne s'y attendait pas. C'est pourtant évident. Je n'ai jamais cessé de le détester pour un seul instant, et il le sait. Il le ressent. Pour autant, cela ne l'empêche pas d'oublier.

Il m'attrape par le poignet et me tire vers lui. Si je n'ai pas eu le réflexe de poser mon autre main sur le matelas, je serais tombée sur lui. Et un seul regard en sa direction me fait comprendre que c'était son intention.

- Puisque nous sommes un couple assez... spécial, que nous n'avions pas appris les choses de bases sur chacun, faisons-le tout de suite.

- Que racontes-tu ? Demandé-je, confuse. Lâche-moi !

Il m'attire davantage vers lui, serrant sa prise sur mon poignet.

- Commençons par... ton activité préférée, dit-il, le sourire narquois. Moi, je dirais les combats d'épée... et tout faire pour t'irriter.

Je lui lance un regard noir. Mes yeux se posent sur sa blessure, et j'ai de fortes pulsions de la main pour la presser et lui faire du mal. Si c'est de la provocation qu'il désire, je vais le servir. J'approche mon visage du sien, ils sont si proche que nos nez manquent de se toucher, si proches que je pouvais sentir son souffle rapide frapper ma peau.

- Mon tour, mon activité préférée serait... de te faire sentir faible devant moi, soufflé-je.

Il esquisse un sourire. Je tente de dissimuler ma haine derrière cet air provocateur. Je suis surprise de sentir sa paume de main se poser sur ma joue, et mes yeux s'écarquillent lorsque son pouce se met à bouger, la caressant.

- Tu avais dis mon nom, dit-il d'une voix rauque. Je t'ai entendu...

Mince. Je n'y avais pas pensé sur le moment, mais il est vrai que j'aurais dû réfléchir avant de parler.

- Tu étais inconscient et blessé, répondis-je, tentant de m'éloigner. Je n'avais pas d'autres moyens pour attirer ton attention.

- Oh que si, tu aurais pu me frapper, c'est ce que j'aurais attendu de ta part et cela aurait tout autant plus efficace, rétorque-t-il, me gardant près de lui.

- Je ne sais pas pour qui tu me prends, dis-je froidement, mais je ne suis pas aussi cruelle que toi. 

Je me libère enfin de son emprise, me reculant avec fermeté. Malgré son attitude taquine, je perçois une lueur de tristesse dans ses yeux. Une lueur qui est passée si vite qu'il faudrait être attentif pour l'apercevoir. Comme si, derrière sa façade provocatrice, il dissimulait une douleur profonde, une souffrance qu'il refuse d'admettre. 

- Je suppose que tu as raison, dit-il, dans une certaine mesure du moins.

Nous savions tous les deux que ce n'était pas la vérité, je suis aussi cruelle que lui, à la différence que ma cruauté est ciblée. Je pourrais abattre toute sa lignée sans aucun remords, je pourrais tuer tous ceux qui le soutiennent, les massacrer, alliés et complices. Même quelqu'un qui lui aurait sincèrement souri une seule fois.

- Je te laisse te reposer, dis-je.

Je ne lui laisse pas le temps de me répondre, que je suis déjà sorti de la pièce. Je referme la porte derrière moi et entre dans le salon. Je ferme les rideaux, la fatigue reprenant le dessus après que la haine l'ait réprimée toute la nuit. 

Une fois que la pièce est plongée dans une obscurité partielle, avec quelques rayons de soleil parvenant à se filtrer à travers les fentes des rideaux, je m'installe sur le canapé, laissant échapper un soupir épuisé. Le poids de la fatigue se fait de plus en plus présent.

Puis enfin, avec soulagement, mes paupières se ferment lentement. Je me laisse emporter par le sommeil - loin d'être un moment de repos pour une âme aussi sombre que la mienne -, jusqu'au soir.

Tout semblait calme, jusqu'au moment où je me réveille en sursaut, où le Grand Roi se trouvait près de moi, regardant par la fenêtre, où les explosions ont troublé la nuit silencieuse. 

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now