3.

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Je rejoins mon père dans le salon de son appartement, et je découvre avec regret qu'il n'est pas présent. Dos tourné, elle regarde par la fenêtre, ma belle-mère...J'essaie de ne montrer aucune émotion, mais je ne me sens pas aussi courageuse et à l'aise que lorsque j'ai d'abord pénétré dans la pièce. Je voulais lui demander où était mon père, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je n'osais pas.

-  Tu as déshonoré toute la famille d'Avalorn, encore une fois ! Dit-elle, sa voix tremblant de colère, puis elle se tourne vers moi. Comment as-tu pu être si imprudente ? Comment oses-tu entrer dans ce saint palais couverte de sang ?

- Je... Madame Vivianne... Je n'ai pas voulu me couvrir de sang, c'est arrivé pendant que je me défendais, dis-je, les yeux baissés. Je vous jure que personne ne m'a vue autre que ma dame.

Elle cesse d'utiliser son éventail et s'approche de moi. Je gardai la tête baissée, sachant très bien ce qui était sur le point se passer.

- Tu n'es pas un homme, et pourtant tu fais le travail d'un, dit-elle. Tes mains devraient être gracieuses, tu n'aurais jamais dû tuer ! À quoi bon avoir un chevalier, alors ? Pour coucher avec lui, petite sotte ?!

Je relève la tête et la secoue.

- Comment pouvez-vous dire de telles choses, Madame ? Aucun homme ne m'a jamais touchée, tout n'est qu'un jeu et vous le savez ! Dis-je, me défendant. Je...

- Cesse de parler ! Crie-t-elle. Montre-moi tes mains. Puisque tu continues à te comporter comme une enfant, autant te traiter comme telle.

J'essaie de ne rien ressentir. J'y suis habituée. Comme un robot, j'obéis et ouvre la paume de mes mains vers elle, et avec son éventail, elle les frappe. J'essaie de réprimer les larmes qui bordent de mes yeux. Elle frappe de toutes ses forces, et mes mains commencent à saigner. Même les mercenaires n'ont pas réussi à me faire de mal. Mais elle...

- Supplies-moi ! Crie-t-elle. Supplies-moi d'arrêter !

J'ai de la fierté. J'ai de la fierté. J'ai de la fierté.

Je n'ai plus de fierté. Qui est-ce que je trompe ? Dans cette pièce, avec cette femme, je n'ai plus de fierté. Alors je laisse une larme couler le long de ma joue et la supplie d'arrêter. Humiliant. Je me sens humiliée. Heureusement, personne ne peut le voir.

Et lorsque la porte de l'appartement s'ouvre, elle jette son éventail ensanglanté dans le feu et prend un air aussi angélique qu'elle le peut. Mon père entre dans la pièce, et je souris. Mes mains me font mal et brûlent, mais je les cache derrière mon dos.

- Ma chère fille, dit-il en souriant, tu as dû attendre, je suis désolé. J'étais occupé avec le travail.

- Ce n'est rien, papa, dis-je en lui souriant en retour. Madame et moi discutions.

- Parfait, dit-il en s'approchant.

Je cache mes mains encore plus, mais cela le fait froncer les sourcils.

- Que caches-tu ? Demande-t-il.

R... Rien. Bégayé-je.

Il saisit mon bras et ramène mes mains à l'avant pour les examiner. Quand il voit qu'elles saignent et sont blessées, ses yeux s'agrandissent. Madame Vivianne doit être furieuse de ma négligence.

- Qui t'a fait cela ? Qui a osé te blesser ? Dit-il, en colère.

Comme d'habitude, papa. Le prince d'Althéa a envoyé ses mercenaires, et nous avons combattu un peu avant que je ne les tue.

Mais cette réponse le rend encore plus en colère.

- Je lui ai dit... dit Madame, je lui ai dit d'être plus prudente. Je pense qu'il vaudrait mieux pour elle de ne plus jamais quitter ce palais.

- ... Je ne veux pas priver mes filles de leur liberté à cause de nos ennemis, mon amour, dit-il en soupirant. Mais... Si c'est ce que Della souhaite, alors je n'ai rien à dire. Le veux-tu, Della ?

Je sens le regard lourd de Madame posé sur moi. Non. Non, si je ne tue pas ces mercenaires, ma sœur sera leur cible. Puisque nous sommes toutes les deux au palais, pourquoi ne pas éliminer la cible la plus facile ?

- Je chéris ma liberté, papa, dis-je. Je suis bien entraînée, je peux me défendre comme d'habitude. Et j'ai mon chevalier. Je ne souhaite pas être enfermée dans le palais.

- Alors qu'il en soit ainsi, ma chérie, dit-il. Je renforcerai la sécurité à l'extérieur, dans ce cas.

J'acquiesce. Si seulement il savait que cela n'a rien à voir avec le prince d'Althéa, mais avec la femme qu'il a épousée. Personne ne sait ce qu'elle fait, personne ne peut le deviner. Elle est si aimable avec tout le monde, hormis moi. Et elle ne peut oser agir de la sorte avec ma sœur, puisqu'elle n'est pas idiote, après tout. Ma sœur sera reine, un jour, et tous les mauvais traitements qu'elle pourrait lui infliger lui seront rendus d'une manière pire encore.

Je la déteste tellement.

- Papa, à vrai dire, je voulais te parler au sujet d'une affaire. Lui dis-je.

Le corps de Madame se tend. Je dois parler vite, pour qu'elle ne pense pas que je vais révéler son secret et me le faire regretter plus tard.

- Dis-moi, Della.

- Le duc Valerius, dis-je, m'a invitée à dîner demain. Je suis en âge de me marier et... c'est l'un de mes prétendants. Mais je ne voulais pas lui donner une réponse avant de te consulter.

Mon père pose ses deux mains sur mes épaules et me regarde dans les yeux.

- Tu as tellement grandi... dit-il avec émotion. Si seulement ta...

Il s'arrête au milieu de sa phrase, mais je savais ce qu'il voulait dire. J'aurais aimé que ta mère puisse te voir. Et j'aurais aimé qu'elle soit là. Madame ne serait que la fille d'un baron, avec un peu de chance, elle aurait été la dame d'honneur de ma mère. Ma mère était la reine de tous, elle était tant aimée et n'avait rien de mauvais dans le cœur.

Même si j'étais la cadette, et que je n'avais pas la même importance que ma sœur aînée, elle ne me faisait pas sentir différente. Tout ce que ma sœur faisait, je le faisais aussi. Non pas par esprit de compétition, car je n'ai jamais été la rivale de ma sœur, mais simplement pour que je ne me sente pas exclue, ce qui a créé un lien très fort entre ma sœur et moi.

Lorsque Madame est entrée en scène, elle a voulu la remplacer. Elle voulait être reine, être ma mère et la mère de ma sœur, et elle voulait faire un enfant à mon père, non pas par amour, mais juste pour donner naissance à un fils et en faire le prince héritier. Et elle n'a rien eu.

Elle ne pouvait pas être reine, mon père aimait tellement ma mère, même après sa mort, qu'il n'a cédé son titre à personne d'autre. Il a épousé Madame pour que nous ayons quelqu'un à nos côtés, il ne l'aime pas comme il aimait ma mère. Et bien évidemment, ni moi ni ma sœur ne la considérions comme notre mère, parce que nous en avions une et que nous n'avions pas l'intention de la remplacer. Et par la grâce de Dieu, elle est infertile et ne peut pas porter d'enfant.

Du coup, c'est sur moi qu'elle déverse sa colère depuis que j'ai cinq ans.

- D'accord. Dit mon père. Si tu veux, tu peux dîner avec lui. Mais emmène ton chevalier avec toi, pour que je sois rassuré.

- Merci, papa. Je vais donc partir et te laisser te reposer.

Il acquiesce. Je l'embrasse alors sur la joue avant de quitter la pièce.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now