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Finalement, Azref n'a rien fait. Birsan est revenue entre temps, le forçant à reculer et il s'en est allé. Nous nous sommes pas revus ensuite. Il a simplement envoyé des servantes me préparer le lendemain ; il allait enfin annoncer notre mariage devant tout le royaume.

- Mes sujets vont enfin voir quelqu'un de ma famille, après deux cents ans... dis-je doucement. Assure-toi que mon apparence soit impeccable, je dois représenter tout ce en quoi ils ont crus.

- ... Ils penseront probablement que vous les avez trahis, me répond Birsan en posant mes bijoux.

- Je ne l'espère pas, dis-je en me regardant dans le miroir. Mais enfin, s'ils en viennent à croire une telle chose... je ne leur en voudrais pas.

Je prends une grande inspiration, tout est prêt. Je me sens encore plus nerveuse que le jour de mon mariage avec Azref.

Après quelques instants, la porte s'ouvre, des servantes m'informent que les gardes royaux n'attendent plus que moi. Je me regarde une dernière fois dans le miroir, puis sors de la chambre. Azref est là, et derrière lui plusieurs gardes.

Azref me tend le bras, que je prends et nous nous dirigeons vers le plus grand balcon du palais, celui qui donne sur la cour. Tous les sujets d'Althea ont été invités, pas que les nobles. Donc faire l'annonce à l'intérieur n'aurait pas été très pertinent.

Les gardes royaux annoncent notre arrivé ; le prince héritier et son épouse, la princesse héritière. Nous arrivons sur le balcon, et je vois toute la foule. Nous étions assez proches pour voir leurs visages, mais assez éloignés pour ne pas être touchés.

- Cher peuple, c'est avec grande joie et grand honneur, que je vous présente mon épouse. La future reine d'Althea.

Leurs visages se déforment, par la surprise, le choc ou le dégoût. Je peux facilement reconnaître les personnes faisant partie de mon peuple. Leur visage trahit une expression blessée, alors que je les saluais.

Les Althéens sont, au contraire, ravis d'avoir amené une descendante du Grand Roi de leur côté.

- Nous allons désormais nous rendre en ville, me prévient Azref. Nous allons rendre visite à certains de nos sujets.

Je hoche la tête. Je reprends son bras et jette un rapide coup d'œil aux personnes présentes. J'aimerais tant leur dire les réelles raisons pour lesquelles je suis là. J'aimerais qu'ils s'en doutent.

Personne n'est ton allié, Della.

Je descends les marches des escaliers, et nous nous dirigeons vers l'extérieur, là où une calèche nous attendait. Je me répète les paroles du Grand Roi, personne n'est mon allié. Je ne dois faire confiance à personne. La trahison peut survenir de n'importe qui, n'importe quand.

Je monte dans la calèche et nous démarrons immédiatement. Je retourne à la capitale d'Althea. La capitale de l'ancien Royaume. Quelques minutes passent, et nous sommes arrivés.

Je descends de la calèche, et je vois que les gardes sont partout, bien plus que d'habitude. Compréhensible. Une tentative d'assassinat est très plausible, avec moi ayant été révélé comme une traître.

- Allons dans cette maison, dit Azref.

Je le suis, et nous entrons, accueillis par le père de famille. Azref inspecte rapidement et discrètement l'intérieur, comme s'il recherchait quelque chose de précis.

- Bienvenue dans notre humble demeure, vos Altesses, dit l'homme, visiblement nerveux. Et félicitations pour votre mariage.

Je regarde sa petite famille, il a deux filles. Je leur souris légèrement, alors qu'elles semblaient effrayée.

- Ne manquez-vous de rien ? Leur demande Azref. Vos filles vont-elles à l'école ?

- Grâce à vous, votre Altesse, nous ne manquons de rien, dit l'homme la tête baissée. Nos filles sont à l'école, et nous avons de quoi nous nourrir...

Azref hoche la tête. La plus grande des deux filles bougeait dans tous les sens, se cachant de plus en plus derrière sa mère. Elle bougeait jusqu'à ce qu'une chose tombe au sol.

Un tissu.

La petite se penche pour le prendre et le cacher, mais Azref réussit à l'attraper rapidement. Il étudie le tissu noir et rouge, orné d'un aigle doré au milieu. Mon cœur bat rapidement, reconnaissant le drapeau d'Inimia.

- D'où t'es-tu procuré cela ? Lui demande Azref.

La petite est terrifiée. Ses parents aussi. Azref la regarde, insistant, désirant une réponse.

- Mon... mon amie me l'a donné, dit-elle d'une petite voix.

- Ton amie, hein ? Dit-il en regardant par la porte. Ne vous apprennent-ils pas à l'école que porter ce drapeau est un grave crime ?

Les parents tombent à genoux, pleurant et tremblant, suppliant Azref de pardonner l'ignorance de leur fille. Je suis horrifiée. Mon peuple s'humilie pour sa survie.

- Faites-la parler, dit Azref aux parents, s'adressant à l'autre fille.

- Elle ne peut parler, votre Altesse, disent-ils d'une voix tremblante. Elle... elle est née muette...

Azref s'approche. Il redemande une seconde fois à ce que les parents fassent parler la petite. C'est à cet instant que j'ai compris ; Azref ne veut pas visiter les maisons de ses sujets par pur bonté du cœur. Mais bien dans l'optique de les surveiller.

- Ou bien parle-t-elle une langue interdite dans le royaume ?

Mes mains se mettent à trembler, impuissante. Azref tenait toujours le drapeau d'Inimia en main, il allait s'en aller et appeler un garde pour les arrêter, alors que les parents suppliaient que leurs filles soient épargnés.

Le crime étant commis par leur fille, ce sera elle qui sera punis.

Sans pouvoir m'en empêcher, je m'interpelle et arrête Azref dans sa marche.

- Ferme les yeux sur cela, juste pour cette fois, je t'en prie, lui demandé-je. Elles sont terrorisés !

- Della, me murmure-t-il, pousse-toi, c'est mon devoir. Dois-je laisser des criminels en liberté ?

- Des criminels ? Elles sont encore des enfants ! Rétorqué-je. Vas-tu réellement punir des enfants ? Tu... tu n'es pas cruel à ce point, n'est-ce pas ?

Il ne répond pas, il lance un regard à la famille, puis à moi.

- Ta décision changera à jamais ma perception de toi, dis-je, le suppliant des  yeux. Ne sois pas un monstre. Les enfants... les enfants sont innocents.

Il continue à me fixer puis soupire. Il finit par relâcher le drapeau qui tombe au sol, et il s'approche de la porte.

- Brûlez cette chose, dit-il à la famille, que je ne la revois plus. Soyez reconnaissant pour la miséricorde que la princesse vous a montrée aujourd'hui.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now