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Mes talons claquent contre le sol froid, résonnant dans les couloirs du palais. Mes mains se tiennent entre elles, posées devant ma poitrine, la tête levée. La grande porte de la salle à manger s'ouvre, et j'y entre. Je m'avance, toujours confiante, puis m'arrête devant le roi. Cet homme indigne, se tenant sur son siège en or, me regardant avec haine.

Qu'ai-je fais pour qu'il me déteste autant ?

Cela devrait être moi et ma famille, pas cet homme, si l'on peut appeler cette chose ainsi.

Contre mon gré, je plie mes genoux légèrement pour m'incliner, pas aussi bas que la servante attendait de moi. Pas que la servante, si je regarde bien la salle. Les gardes présents ne peuvent me lâcher du regard. Ils suivent mes moindres faits et gestes.

- Votre Majesté, dis-je doucement. Quel honneur de vous rencontrer.

Il ne me répond pas et tourne sa tête vers son fils. Il a l'air moins... joueur, que lorsque nous étions dans ma chambre. Son visage est assombri, ses sourcils froncés.

- C'est donc elle ta fiancée, fils ? Lui demande-t-il.

Le prince me lance un rapide regard puis se concentre sur son père, il lui répond avec un simple hochement de tête.

- Quel est son nom ?

Son fils ouvre la bouche, s'apprêtant à lui donner une réponse mais je le devance.

- Je m'appelle, Della, votre Majesté. Dis-je, d'un ton sec. Il serait plus approprié que vous vous adressiez directement à moi lorsque je suis présente, ne pensez-vous pas ?

Il me regarde, tentant de se contenir. Je suppose que si ce n'était pas pour son fils, le couteau qu'il tient en main serait déjà planté quelque part dans mon corps. Et si ce n'était pas pour mon Royaume, son cadavre et celui de son fils seraient sous mes pieds. 

Un silence pesant s'installe dans la salle à manger, rompu uniquement par les murmures étouffés des serviteurs. Ces murmures s'accentuent lorsqu'ils remarquent que je commets l'interdit ; mes yeux dans les yeux du roi.

- As-tu déjà contacté une professeur pour lui apprendre l'étiquette ? Demande le roi à son fils. Je ne tolérerais pas longtemps ce comportement.

Je tourne la tête vers le prince, il ne semble pas intéressé par la conversation. Finalement, son regard se pose sur moi, et il tire la chaise à ses côtés.

- Viens t'asseoir à mes côtés, me dit-il.

Sans dire un mot, je passe derrière le roi et m'assois à côté du prince. L'atmosphère est pesante. Le prince semble vouer un sentiment particulier pour son père... de la colère ? De la compétition ? Entre eux, je me sens comme une arme. En m'ayant à ses côtés, le prince tente de montrer sa puissance à son père. Cependant, aucun des deux ne sait que je suis une bombe à retardement.

Durant tout le long du repas, je pouvais sentir le regard du roi sur moi, sur ma chevelure, sur ce qu'elle représente. La même chevelure que la reine enterrée ici... Ma Grande Reine. J'aimerais tant la voir, la rencontrer... lui assurer que son retour près de son frère, près du reste de sa famille est proche. Cela n'est plus qu'une question de temps.

- Un médecin viendra l'examiner à la fin du repas, prévient le roi.

Je relève soudainement le regard, posant mes couvercles.

- Je ne suis pas présente pour décorer, dis-je froidement. Je l'ai dis, et le redis, votre fils n'est pas mon porte-parole.

Sa haine l'empêche de m'adresser la parole, et lui parler n'est pas une partie de plaisir pour moi, mais je dois me montrer ferme dès le départ pour me faire respecter. Je ne serais rien de plus qu'une vulgaire Avalorn à ses yeux, mais s'il savait que cela est largement suffisant pour causer sa destruction.

Il se tourne ensuite vers ses serviteurs et sermonne le médecin. Je ne sais comment prouvera-t-il que j'ai perdue la mémoire... je dois trouver une solution, sinon ma mission s'arrête là.

Je prends une grande inspiration, je suis capable de m'en sortir. Je ne dois pas douter.

N'es-tu pas capable de tromper ton esprit, comme tu trompes les Hommes ?

J'en suis capable j'en suis capable j'en suis capable j'en suis capable j'en suis capable...

Le médecin entre dans la pièce, je tente de ne pas paraître nerveuse. Je ne décevrais personne. Je sauverais Inimia. Je suis la clé. Le Grand Roi croit en moi.

- Votre Majesté, votre Altesse, dit le médecin en entrant, puis il s'incline.

Son regard se pose un instant sur moi, troublé par ma présence.

- Approchez, docteur. Votre patiente se trouve là, dit le roi. Trouvez-moi son problème immédiatement.

Le médecin m'approche, toujours autant troublé. Le roi ne lui a pas demandé de prouver ma perte de mémoire, alors je crains le pire.

Je convaincs mon esprit que je ne sais rien. Que je suis personne. Je m'appelle Della, et rien de plus. Je ne connais pas Inimia, je ne connais pas Althea. Je ne connais rien. Je ne suis rien. Je ne suis personne. Je me le répète, encore et encore, jusqu'à l'imprimer dans ma mémoire.

- Regardez-moi dans les yeux, Madame. Me dit-il.

Je fais ce qu'il me dit, sentant le regard du prince et du roi. Le prince, à mes côtés, tient sa dague dans la main, attendant une seule mauvaise parole du médecin pour mettre fin à ma vie.

J'ai perdu la mémoire, dis-le. J'ai perdu la mémoire. Temporaire ou totale. J'ai perdu la mémoire. Dis-le !

- Votre Majesté... il semblerait que Madame souffre d'amnésie. En d'autres termes, de perte de mémoire.

- L'avez-vous su rien qu'en regardant dans ses yeux ? Demande le prince.

- Évidemment, votre Altesse. Les yeux parlent, ils cachent tant de choses.

Et sans que je n'ai eu le temps de réagir, le prince bouge le bras vers moi. Pour un court instant, j'ai pensé que j'en ai été la cible mais je sursaute légèrement lorsque j'entends la voix étouffé du médecin.

Le prince vient de le poignarder sous mes yeux.

Je ne dis rien, mais mes mains tremblaient de rage. Il l'a tué. D'une façon si simple. Aussi simplement que de respirer.

Je viens de témoigner la cruauté du prince d'Althea, me rappelant ainsi que je dois être encore plus cruelle que lui pour survivre.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant