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J'entre dans la modeste chambre de Birsan, une chambre semblable à celle de toutes les servantes et tous les serviteurs. Une chambre me rappelant celle où j'ai vu la servante pendue.

- Je travaille ici depuis cinq ans, me raconte-t-elle. Je vivais à la rue, orpheline, alors une servante travaillant au palais m'a recommandé au prince qui m'a offert un logement et de quoi me nourrir en échange de mon travail.

- ... Malgré son aide, le trahiras-tu ?

- Un acte de bonté n'effacera jamais les horreurs qu'il a commis contre notre peuple.

J'acquiesce. Azref est capable de faire du bien, s'il en a envie, cependant comme elle l'a dit... cela n'enlève en rien tous ce que lui et ses ancêtres ont faits à mon peuple pour s'installer sur nos terres volées. Althea a été construite sur le sang de nos martyrs.

- Je dois cependant mettre une chose au clair, me dit-elle.

Son visage impassible se tourne vers moi. Elle cache autant de colère que moi, que nous.

- Je ne vous ai aidé que pour le Grand Roi, dit-elle sérieusement. Malgré tout mon respect pour lui, je n'aime pas votre famille. Je vous déteste, tous.

Je fronce les sourcils, surprise.

- Comment veux-tu que je te fasse confiance, avec ces mots ?

- Tout simplement car ma haine ne touche que votre famille, non pas nos terres. Je me bats pour Inimia, pas pour vous. Mais puisque vous êtes la seule à pouvoir libérer nos terres, je n'ai d'autres choix que de vous sauver. Je vous aiderais du moment que cela concerne Inimia, si cela vous concerne personnellement, ne comptez pas sur moi.

- Bien... soupiré-je. C'est assez pour moi. Notre lutte est pour Inimia, de toute manière. Non pas pour moi ou ma famille. Cependant, puis-je comprendre ce que nous avions faits pour recevoir cette haine ?

- ... Je ne désire pas vous le révéler pour le moment.

Ma première hypothèse était qu'elle ferait partit de la milice du nouvel ordre. Ils haïssent ma famille, mais en y repensant... cela ne ferait vraiment pas sens, ils détestent ma famille et Inimia aussi. Ils veulent prendre le pouvoir, et instaurer je ne sais quel régime pour ensuite signer la paix avec Althea.

- Bien. Demain, je t'emmènerai avec moi à l'extérieur du palais si le prince me le permet. À partir de maintenant, tu seras toujours à mes côtés, et ne pense pas à me trahir... je n'aurais aucun regret de mettre fin à ta vie.

- Bien-sûr. Cela en va de même pour vous, me prévient-elle. Si votre mariage avec le prince vous pousse à la trahison, je n'aurais aucun regret à mettre fin à votre vie.

Je souris. Nous nous sommes mises d'accord, au moins. J'espère pour elle que la trahison lui est autant improbable qu'elle l'est pour moi.

- Dans ce cas, dis-je en me levant, je retourne dans ma chambre.

Elle hoche la tête, puis je m'en vais. Il fait encore nuit, donc je pense qu'Azref doit toujours dormir et personne ne me verra à l'extérieur.

Demain, je vais retrouver Reynald. Il me donnera des nouvelles de ma famille, d'Inimia et ces terres qui sont en train d'être envahi. Et je visiterai les tunnels.

Je rentre dans l'appartement, silencieux, et m'affale sur le sofa. Je repense à la Grande Reine, son visage ne quitte pas ma tête. Elle reposait là, tel un ange attendant d'être retourné à son paradis.

Je ressens tout son désespoir, toute sa mélancolie et son désir de retrouver ses bras qui la protégeait depuis petite. Je m'en rends compte, enfin... je ne vis pas ses émotions et ses souvenirs. Elle vit à travers moi.

Je ne saurais l'expliquer, mais je sais que la Grande Reine réside en moi. Ses souvenirs sont les miens, ses sentiments sont les miens. Elle revit, d'une certaine manière.

- Della..

Je lève la tête, entendant la voix d'Azref depuis la chambre. Je me relève, et y entre. Sa voix semble légèrement étouffée, pas comme à son habitude. Et lorsque je me trouve à l'intérieur de la chambre...

- Della...

Avec horreur, je me rends compte qu'il dormait. Mon cœur rate un battement alors que ses lèvres continuaient de prononcer mon nom d'une façon si douce, si mielleuse, si différente de son habitude. Je m'approche de lui. Un frisson parcourt mon échine alors que je me tiens là, observant son visage paisible, mais légèrement tendu. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Il rêve donc de moi.

Un léger sourire se dessine sur mon visage. Je savais qu'il ne pouvait me résister. S'il savait le nombre d'hommes qui sont tombés sous mon charme à Inimia... être mon ennemi ne l'en empêchera pas.

Pour éviter de tomber dans la même situation que la dernière fois, je sors de la chambre, le laissant plongé dans ses rêves. Je retourne sur le sofa, cette fois un sentiment de victoire m'envahissant. La première étape est une réussite. Consciemment ou inconsciemment, je suis dans son esprit...

Il faut que je le pousse à bout, qu'il n'en peuve plus, le conduire même à la folie s'il le faut. Une fois là, je le mènerai par le bout du nez.

"Je vous promets que je ferais vivre à cette famille, ce qu'elle vous a fait vivre."

Le descendant du chevalier traître devra tomber amoureux de moi, au point d'en être aveuglé. Cette fois, l'histoire se répétera mais en notre faveur. Cette fois, il sera celui aveuglé par l'amour et moi... moi, je serais aveuglé par le désir de vengeance.

Peut-être pas aveuglé, finalement.

Je serais bien consciente de mes actes. Contrairement au chevalier, jamais je n'éprouverai une once d'amour pour lui. Je le poignarderai comme la Grande Reine a été poignardé, et je retournerais avec joie à Inimia.

Inimia mourra, Althea mourra, et le Grand Royaume revivra.

S'il y a bien une chose qui changera dans ma vie personnelle après tout cela, grâce à cette mission, ce sera Madame. De retour à la maison, je chasserais Madame du palais, du royaume, même. Et si elle me résiste, je la tuerais.

D'abord la vengeance pour mon peuple, ensuite la vengeance pour moi-même.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now