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Le roi a quitté la salle à manger après la vue du sang, cela lui aurait coupé l'appétit. Il n'a rien dit à son fils. Rien. Aucun blâme. Rien. Je suis restée silencieuse, rejouant le moment maintes et maintes fois dans ma tête.

- Effrayé ? Me demande-t-il, continuant à manger comme si de rien n'était.

- Non.

Il pose ses couverts et se tourne vers moi.

- Je ne comprends simplement pas l'intérêt de l'avoir assassiné. Dis-je d'un ton neutre.

- Un secret est mieux gardé en petit nombre. Me répond-il.

Ses yeux fixent les miens avec insistance, attendant de voir ma réaction. Je ne laisse rien paraître, je le fixe avec autant d'insistance froidement. Je ne lui laisserais pas une chance de penser qu'il est supérieur à moi.

- Un secret ne se garde pas avec le meurtre, dis-je. 

- Au contraire, ma chère, dit-il d'un ton provocant. Je décide comment se garde les choses. Si cela est par le meurtre, alors soit. Ne t'attriste pas trop, chaque humain est remplaçable.

Je ne devrais pas être étonnée. Tuer des innocents est la spécialité d'Althea. Ils sont cruels, terribles. Ils n'ont aucune morale. Aucune. Et je le sais. Je le sais, je l'ai toujours su.

- Je vous déteste, du plus profond de mon âme, craché-je.

- Bien, dit-il. Ne changeons pas les bonnes habitudes.

Au moins, je pourrais toujours montrer de l'animosité pour lui. Je n'aurais pas à feindre une certaine tolérance envers lui. Je prends une grande inspiration, être en sa présence est étouffant. Je me lève, sentant que j'allais bientôt éclater si je ne m'éloignais pas.

Madame serait tellement heureuse de me voir dans cette situation. Elle l'avait prévue de toute façon... se débarrasser de moi en m'envoyant épouser (ou mourir) le prince d'Althea. Ou le roi. Au choix. Et le choix ne me revenait pas.

- Où vas-tu ? Me demande-t-il.

- Je veux retourner dans ma chambre, lui répondis-je. Ou n'ai-je pas le droit ?

Il fait un signe de tête à ses servantes pour m'accompagner, je roule des yeux puis me dirige vers la sortie sans lui lancer un regard. Je me fais rapidement entourer par les servantes, et deux gardes. Je me sens de plus en plus étouffée.

Je marche rapidement et lorsque j'atteins ma chambre, je prends soin de ne laisser personne entrer. Une fois que je suis complètement seule, je tente de retirer ma robe en respirant rapidement. Mon Dieu. Mon Dieu sauve moi.

Je réussis à retirer ma robe, en déchirant quelques parties au passage, ne restant qu'avec une petite robe de chambre. Je me pose sur mon lit et tente de prendre une grande respiration pour stopper cette sensation étrange dans ma poitrine.

Je suis seule. Seule. Seule.

Papa doit penser que je suis décédée.
Freya doit penser que je suis décédée.

Je ne le suis pas. Pitié, je ne le suis pas.

Papa doit être détruit. Freya doit être en train de pleurer.

Madame va me battre. Elle va me battre. Madame, je ne l'ai pas fais exprès. Je ne voulais pas qu'ils pensent que je suis décédée ! Madame... je suis désolée.

Qui est la petite sotte ?
Je le suis. Je le suis, Madame.

Qui est la honte des Avalorn ?
Je le suis. Je le suis, Madame.

Je suis ta mère Della.
Non non Madame. Ma maman est décédée ma maman n'est plus là.

Madame madame vous me faites mal.
Maman m'aurait jamais fais de mal.

Respire, respire, respire.

J'ai mal. J'ai mal. J'ai mal. J'ai mal. Mon dos brûle. Mes jambes me font mal. Mes bras me font mal. J'ai mal. Je n'arrive plus à respirer. Mon Dieu, mon Dieu, je n'arrive plus à respirer !

Mes mains s'agrippent aux draps, mes larmes noient mon visage, mes ongles se plantaient dans ma peau, mais aucune douleur n'était égale à celle que je ressentais à la poitrine.

Respire !

Soudain, je sens des mains me relever. Je sens une présence familière me réconforter. Il pose ma tête sur ses jambes, et tend mes jambes, permettant à l'air de circuler simplement dans mon corps. Il ouvre légèrement mes lèvres, me faisant rappeler que je dois respirer. Il prend soin de moi comme s'il m'avait déjà vu dans cet état.

- Respire, Della... Respire. Me murmure-t-il. Tout va bien.

Ma raison me revient petit à petit, et je lève le regard pour voir que cette présence familière n'est autre que mon grand Roi... je voulais me relever, mais mon corps ne me le permettait pas. J'ai mal.

- Tout va bien.

L'esprit du grand Roi ne se manifeste que dans de très rare cas, et à cause de moi, il s'est manifesté deux fois en moins d'une journée. J'ai honte de me présenter ainsi face à lui, sachant qu'il lui faut énormément d'énergie pour communiquer avec moi...

- Je suis désolée, pleuré-je. Je suis désolée d'être aussi faible.

- Tu n'es pas faible, ma fille... me dit-il doucement. Tu leur a tenu tête, dans l'intimité de ta chambre, tu n'as aucun devoir de dissimuler tes émotions.

Je voulais me relever, mais cette fois ce n'est pas mon corps qui m'en empêche. C'est ce sentiment de sécurité, de confort, de bien-être que me provoque sa présence.

- Maman me manque, papa me manque, ma sœur me manque, grand père, chuchoté-je, en pleurant.

Je remarque immédiatement ce que je venais de dire après un long silence. Je me relève, gênée, les joues rouges. Je n'aurais pas dû adresser le Grand Roi de façon si informelle. Il est peut-être mon ancêtre, mais il est avant tout mon roi...

Je sèche mes larmes, forçant ce sentiment étouffant de s'éteindre en moi.

- Je suis désolée, grand Roi. Dis-je faiblement. Je vais me reprendre, je vais vous rendre fier.

- ... Tu es bien la première depuis toutes ces années qui m'a fait sentir que nous appartenons à la même famille, dit-il doucement. Ne t'arrêtes pas, s'il te plaît. Je suis ton aïeul, tu es ma petite-fille. Je ne veux rien d'autre, d'accord ?

Il pose ses mains chaleureuses sur mes joues et sèche mes larmes.

- Tu n'es pas seule, Della. Continue-t-il, la voix douce. Je serais toujours à tes côtés, même lorsque tu ne me vois pas. Je te protégerai, je te chérirai. Plus que n'importe qui, tu m'es chère.

Il réussit à m'arracher un sourire. Un doux sourire, rassurant légèrement mon cœur. Je ne suis qu'au début, j'ai simplement besoin d'un coup de main pour m'élancer et il me l'a donné.

Alors je l'ai remercié et il m'a gratifié d'un sourire. Sa main dans la mienne, je sens sa tendresse. Je sais que je lui rappelle tant sa sœur, il devait la chérir énormément... et pour cette raison, je me promets que je ne m'arrêterai pas tant que je ne lui ai pas amené sa sœur.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant