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J'entre dans le palais avec Della, l'esprit vide. Je ne suis même pas en colère contre elle, je suis en colère contre moi-même, contre la façon dont j'ai stupidement perdu le contrôle de mon propre corps. Il est si facile pour elle de me haïr, pourtant je ne peux plus faire de même avec autant de facilité.

Je soupire. Elle avait raison, c'est une erreur et je dois me ressaisir au plus vite.

- Votre Altesse, bienvenue, dit Sardor. Sa Majesté vous attend.

J'acquiesce. Je m'en doutais. Je me tourne vers Della et lui dis d'aller dans notre chambre. Après l'incident avec mon père la dernière fois, je ne veux pas qu'ils se croisent à nouveau. Elle acquiesce et part, tandis que je me dirige vers le bureau de mon père. Les gardes m'ouvrent la porte et j'entre.

- Votre Majesté, dis-je, neutre. Vous vouliez me voir.

- Où est-elle ? demande-t-il, furieux.

Est-il toujours aussi en colère ?

- Elle est fatiguée par le voyage, elle est allée se reposer.

- ... Tu me déçois tellement, comment peux-tu prendre sa défense ? dit-il, dégoûté. Je croyais que tu pouvais nous apporter la victoire de cette façon, mais depuis qu'elle est apparue dans notre vie... nous avons été vaincus.

Je continue à le regarder. Della ne me quitte jamais, pas plus qu'elle ne quitte le palais. Elle ne peut pas communiquer avec l'extérieur, et quant à Dame Luzia, son seul contact extérieur, nous avons découvert qu'elle n'avait aucun lien avec les rebelles d'Inimia.

Ce n'est que de la malchance, je suppose.

- Au début, je t'ai donné six mois, dit-il d'un ton menaçant. Maintenant, cela fait presque cinq mois qu'elle est ici. Si tu ne fais rien, je vais devoir agir moi-même.

- Je pensais que c'était l'ancien plan, ne m'aviez-vous pas affirmé que j'étais responsable d'elle ? Rétorqué-je.

- Effectivement. C'était le cas, avant qu'elle ne m'ait attaqué devant tous mes serviteurs. Azref, si le mois prochain elle est toujours ici, je la tuerais moi-même.

Je fronce les sourcils. Mon regard s'assombrit, alors que les images de son corps sans vie défilent dans mon esprit. Je la vois, sans vie, près de mon père, l'épée en sang. Cette vue me provoque une colère noire, une rage me rendant capable de planter une épée dans la gorge du roi en cet instant.

- D'ailleurs, j'ai rendu visite à ta mère, m'informe-t-il.

Mes yeux s'écarquillent, sentant ma respiration se couper. Mes mains derrières le dos se mettent à trembler.

- Mère va bien, dis-je froidement. Nul besoin de la visiter.

- Va-t-elle véritablement bien ? Dit-il d'un ton moqueur. Une femme qui va bien ne poignarderait pas son fils.

Ma main attrape la dague que je garde dans ma ceinture dans le dos. Il me fixe dans les yeux, savourant l'effet qu'il produit en moi. Tout sauf elle. Tout sauf maman.

- Que lui avez-vous fait ? Dis-je, les dents serrés.

- Rien, me répond-il d'un ton calme, pour le moment. Je devrais, pourtant. Ne crois-tu pas ? Tenter d'assassiner le seul héritier d'Althea... un crime passable de la peine de mort. En plus de ses crimes passées... ma femme est une criminelle.

Je m'approche de lui, le corps tremblant.

- Vous l'avez conduits à cet état, dis-je la voix tremblante de rage. Elle allait mal, et au lieu de l'accepter et l'aider... vous l'avez repoussés.

- Une personne ayant perdue la raison n'est pas digne de faire partie de notre famille.

- Elle n'a pas perdue la raison ! M'écrié-je. Maman va être guérit ! Si jamais vous tentez de lui faire du mal, je vous promets que vous ne vivrez pas une seconde de plus.

Et sur ces mots, je m'avance vers la porte afin de quitter son bureau. Cependant, il me lance un avertissement avant que je ne puisse m'en aller :

- Si jamais cette enfant de diable commet une autre offense à mon égard, ce sera ta mère qui en paiera le prix.

J'ouvre la porte violemment et m'en vais. Je reste quelques secondes dans le couloir, devant la porte, afin de me calmer. Je ne lui permettrais pas de me menacer avec maman.

- Votre Altesse, vous allez bien ?

Je lève la tête vers Sardor, reprenant une respiration régulière.

- Je dois la revoir, dis-je doucement, ma mère.

- Non, votre Altesse. Je ne peux pas vous permettre cela.

Toujours aussi en colère, je m'approche furieusement de Sardor et l'attrape par son col.

- Que lui a fait le roi ? Lui demandé-je.

- Votre Altesse... Premièrement, vous êtes en danger avec elle. Et-

- JE ME FICHE DE CELA !

- Et elle pense que vous êtes décédé, continue-t-il.

Je le relâche et recule légèrement. Quoi ? Alors... alors, elle doit être prise de regret. Elle doit... elle doit être dans un état pitoyable.

- ... Je dois encore plus la voir, dis-je, la voix faible.

- Non... non, elle est loin d'être elle-même, dit-il en soupirant. Elle vous pense mort, et vaut mieux qu'elle le pense toujours. Le roi lui a promis que si elle restait calme, il mettrait fin à sa vie. Si elle apprend que vous êtes en vie... son ancien état refera surface... elle sait que vous ne lui permettriez jamais de mourir.

Elle ne le regrette pas.

Ces quelques mots ont eu l'effet d'un poignard dans le cœur. Ma mère ne regrette rien. Je me recompose rapidement, gardant un visage impassible. Là, elle attend le roi. Elle attend celui qui a rendu sa vie un enfer... tout ce qui la préoccupe est de mourir.

- Occupe-toi d'elle, dis-je doucement. S'il lui arrive quoi que ce soit, appelle-moi.

- A vos ordres, votre Altesse.

- ... Je te le demande en tant qu'ami d'enfance, Sardor. Pas en tant que ton prince. Prends soin d'elle...

Il me fait un léger sourire rassurant avant de hocher la tête. Je m'en vais alors, me dirigeant vers mon bureau. Della ne devrait pas me voir dans cet état, peu importe à quel point je tente de cacher ce que je ressens, elle réussit à lire en moi. Et elle pensera à nouveau que cela vient d'elle.

J'ai repoussé ce moment trop longtemps. Désormais, je dois commencer à comploter contre le roi. Il n'y a pas d'autres solutions que son assassinat. Et j'ai la chance d'avoir le soutien de l'armée... il est enfin l'heure que je me réveille.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now