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Au lieu de perdre la tête dans cette chambre durant les deux jours suivants, j'ai pris ma douleur comme force et je me suis donnée pour mission d'éliminer Sardor. Il mourra. J'avais déjà anticipé sa mort, mais il semblerait que ce sera plus tôt que prévu. Je lui donne un mois. Pas un jour de plus.

Je me dirige vers le balcon, le soleil s'est déjà couché, ce qui ne peut signifier qu'une chose... soit la perte d'une autre partie d'Inimia, soit notre victoire. Ce soir, soit nos hommes, femmes et enfants mourront, soit leurs hommes, femmes et enfants mourront. Il n'y a pas d'autre solution.

Vengez-nous, mes soldats... Rendez-nous fiers.

Je ferme les yeux, sentant chaque action. 

Après le signal tant attendu, les Résistants quittent les tunnels, sans même avoir le temps de réfléchir. Ils doivent agir, comme de simples machines, en n'obéissant qu'aux ordres. Comme le disait leur princesse, d'une voix ferme et autoritaire, ils devaient sacrifier leur conscience pour être victorieux. Et ils voulaient être victorieux.

Dès que la nuit tomba sur eux, les hommes coururent dans toutes les directions sans se faire voir. Les canons sont prêts, déployés et le chef tient sa main un moment en l'air, regardant au loin avec ses jumelles. Puis elle retombe. Et le premier coup a été tiré aussi vite que possible.

Des explosions se font entendre au loin, et l'endroit autrefois sombre s'éclaire.

C'était le signe pour les soldats.

Ils ont couru, traversé la frontière et tiré sur tous ceux qu'ils voyaient, sans faire aucune distinction. Ils tirent, tirent, tirent, le bruit des balles ne s'arrête jamais. Pas même une seconde. Ils étaient tous guidés par un nouveau sentiment, le sentiment que la liberté est proche, que la victoire sera leur. Il leur suffit de se battre un peu plus fort. De tout sacrifier.

Et le fait de savoir qu'ils sont soutenus par un maître puissant, dans I'ombre, les encourage à se battre encore plus. Qu'ils sachent ou non qui est ce "maître".

- TIREZ !

Soldats et résistants se battaient côte à côte. Sont-ils réellement différents ? Certainement pas, et pourtant ils ne pouvaient que se compléter. Ils étaient l'un et l'autre sous le commandement des deux sœurs, et ce sans le savoir.

- Commandant, les femmes et les enfants sont ici, dit un soldat. Allons-nous vraiment les tuer aussi ?

Le commandant regarde la base militaire, entourée des maisons des familles de ces soldats. Des colons, pour être plus précis. Il soupire en regardant son soldat. Et il regarde tous les autres soldats, sentant qu'ils commencent à hésiter.

- Nous avons été cléments avec eux avant, et cela ne nous a rien apporté... Il dit fermement, ne voulant pas susciter d'hésitation chez ses soldats. Notre ombre écarlate... il nous a demandé de sacrifier notre conscience pour notre terre. Il y aura un temps pour pleurer, et un temps pour regretter, mais ce temps n'est pas encore venu ! Cette fois, vous et moi, nous partagerons le même péché. Cette fois, soyons les démons qu'ils prétendent que nous sommes !

Et avec ces mots prononcés, rien n'aurait pu les arrêter. Depuis quelques jours, ils entendent et lisent les paroles de ce maître inconnu... celui qui commande, celui qui les aide, celui qu'ils ont nommés "l'ombre écarlate". Une ombre pas comme les autres, une ombre teintée de sang

Des bombes ont été lancées, des coups de feu ont été tirés, du sang a été répandu partout. Pourtant, cette scène horrible n'aurait jamais pu être comparée à tout ce qu'ils ont dû endurer et vivre sous le régime oppressif d'Althea.

Ce qui sera appelé plus tard "la nuit cauchemardesque" à Althea est devenu une victoire pour Inimia, et le symbole d'une nouvelle force, d'un fort espoir. La base militaire a été détruite, les maisons aussi. Nul n'a été épargné.

- Répartissez-vous sur tout le territoire, nous réclamons à nouveau cette terre ! S'écrie le commandant.

Je souris, devant le sombre ciel, ayant le sentiment que c'est terminé, que nous sommes victorieux. Je ferme les yeux un instant et hume l'air frais de la nuit. Le ciel était nuageux, ni la lune ni les étoiles n'étaient visibles, pourtant, loin, très loin, une faible lumière était perceptible. La même lumière que j'ai vue la nuit où Inimia a été bombardée.

- Tu vas attraper froid.

J'ouvre les yeux, je le sens derrière moi. Si proche. Son regard brûlait chaque parcelle découverte de mon corps. Il marche lentement, puis enfin, il se poste à mes côtés.

- Il ne fait pas si froid que cela, lui répondis-je.

Il baisse le regard vers moi, et me fixe. Je ne le regarde pas, mais je le sens. Il ne détourne pas le regard, pas même une seconde... Qu'est-ce qu'il essaie de faire ? De m'intimider ? De me mettre mal à l'aise ?

- Tu as meilleure mine, dit-il calmement. J'en suis ravie.

- Je le suis, lui répondis-je sur le même ton. Je n'aime pas trop pleurer, je ne voulais pas que tu me voies dans cet état.

- Pourquoi ? Ne suis-je pas ton mari ?

Je me retourne pour le regarder. Ses yeux et son regard sont... Je ne sais pas. Ils semblent sincères. Il ne se moque pas de moi. Cela me surprend beaucoup, je me serais attendu à ce qu'il se moque de moi, qu'il dise à quel point j'avais l'air faible et à quel point il est ridicule que j'essaie de garder la face en ce moment.

- Tu sembles prendre ce mariage très au sérieux, lui dis-je. Un peu trop. Nous ne sommes que des infortunés contraints de se marier.

D'un seul geste, il me fait basculer pour que tout mon corps soit face à lui. Je dois lever la tête pour le regarder dans les yeux, alors que nos corps sont plus proches qu'avant. Sa main tenait ma taille et son visage se baissait jusqu'à ma hauteur.

- Sommes-nous vraiment ?

- Oui, dis-je d'une voix petite mais ferme. Tu me détestes autant que je te déteste, et pourtant... nous ne pouvons pas nous échapper l'un de l'autre.

Sa main caresse délicatement mon dos, une main qui briserait tous les os de mon corps s'il connaissait la vérité. S'il savait que ses hommes ont été massacrés par les miens, sous mes ordres... et que je n'ai aucun regret.

- Je t'admire, avoue-t-il. Ta force, ta puissance, ton honneur et ta dignité... Je suis fasciné par toi, Della. Puis-je encore te haïr avec de tels sentiments, cependant ?

- Tu le peux encore, lui assuré-je.

Il pose sa tête sur mon épaule, ce qui me fait frissonner. Je sens le contact de ses lèvres sur ma peau, mes yeux se fermant et ma tête retombant légèrement en arrière.

- Puis-je encore te haïr, même si je te désire ? Me demande-t-il, la voix plus basse qu'auparavant.

- Tu le peux encore... 

Il s'est soudainement éloigné, et m'a regardé droit dans les yeux. Ces moments avec Azref commencent à me sembler... naturels. Malgré la sensation étrange dans mon estomac, malgré mon corps brûlant, je ne suis plus réticente à l'idée d'être près de lui. Ma haine a-t-elle pris une telle ampleur qu'elle m'empêche de ressentir un quelconque inconfort face à l'ennemi ?

- Viens, je nous ai apporté le dîner.

Il semblerait que oui.

L'ombre écarlateWo Geschichten leben. Entdecke jetzt