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- Je refuse de croire que cette femme est normale.

Je continue d'écrire, en entendant Sardor râler alors qu'il entrait dans mon bureau.

- Depuis quand la famille d'Inimia a été considéré comme normale ? Dis-je, sans lever le regard.

Il s'assoit face à moi, posant ses bras sur mon bureau.

- Elle sait que je la déteste, et elle en joue. Se plaint-il. Un moment, je la pense menaçante et un autre, elle devient la femme la plus innocente possible. Elle a une double personnalité.

Je pose ma plume dans l'encrier, puis lève ma tête. Avec moi, elle ne montre qu'une facette ; celle de la haine. Et je ne saurais dire quelle est sa vraie facette. Ce dont j'ai connaissance est qu'elle n'a pas complètement oubliée son ancien caractère.

- Apprends à dissimuler tes émotions, Sardor, et tu n'auras plus ce genre de problèmes.

Et si le médecin ne l'avait pas confirmé, j'aurais douté de sa perte de mémoire. Pour être certain, je vais tout de même devoir faire un contrôle chaque mois. Discrètement, pour qu'elle ne se pose pas de questions.

- C'est impossible, dit-il, je ne peux dissimuler plus que cela.

- Comment faisais-tu contre nos ennemis ?

- Ce n'était pas la même chose... me répond-il. Ils n'étaient pas membre de la famille royale d'Inimia, après tout. Nous détestons et nous battons contre les maîtres, non pas leurs esclaves.

C'est donc ainsi qu'ils voient la situation. Lui, et quiconque n'étant pas de sang royal. Ils considèrent la famille royale d'Inimia comme supérieure à eux inconsciemment, même s'ils sont leurs ennemis jurés. Et moi, en tant que membre de la royauté, je les considère comme mes égaux. Ou même moins que cela. Jamais supérieurs.

Je n'ai jamais pensé à cette perspective.

Ils ont tous besoin de paraître sur la défensive, ils sont inférieurs après tout. Moi, je n'en ai pas besoin. Ma haine est bien plus grande qu'une simple expression, que de simples mots. Ma haine n'a pas besoin d'être ressentie, elle se voit. Pas de mots, seulement des actes.

Et cela me montre à quel point la princesse d'Inimia est faible, elle ne peut pas dissimuler la haine qu'elle éprouve pour moi. Ou bien le peut-elle ? Le fait-elle exprès ?

- Mais enfin, je ne suis pas venu ici pour cela. Je devais vous informer que votre père a envoyé ses soldats dans certaines villes proches de la Capitale. Me prévient-il, me faisant sortir de ma rêverie.

- Pour quelles raisons ?

- N'êtes-vous pas au courant ? La nouvelle de la disparition de la princesse d'Inimia s'est répandue jusqu'ici, explique-t-il, et certains nous ont soupçonnés. Ils demandent son retour.

Je ris. Un rire plein de colère contre ces traîtres. Nous sommes entourés par eux.

- Il existe encore des chiens fidèles à Inimia ? Demandé-je d'un ton condescendant. Ils semblent avoir oublié qui nous sommes.

- Notre roi le leur a rappelé.

- Comment cela ?

- Tous les garçons de plus de dix-huit ans sont contraints de servir au sein de l'armée pour expier les fautes de leurs parents, les petits enfants sont enlevés pour être éduqués par l'État, et les jeunes opposants sont emprisonnés. Dit-il. Leurs maisons ont également été saisies en tant que propriété de l'État. Voulez-vous que nous fassions quelque chose à ce sujet ?

Je fronce les sourcils. Père a été bien plus cruel auparavant, lorsque je n'étais qu'un petit garçon. Il m'a forcé à regarder ces rebelles se faire aligner par notre armée dans leurs propres maisons, et se faire tuer l'un après l'autre. C'était ma punition pour avoir pris la parole pour la première fois, pour lui avoir demandé d'avoir pitié d'eux, comme s'il en était capable.

Il a interrompu les soldats, donnant aux rebelles une lueur d'espoir de survivre, d'être seulement emprisonnés et non tués. Mais ils ont vite compris que leur punition était suspendue, jusqu'à ce que j'arrive. Jusqu'à ce que père oblige les soldats à me tenir, me forçant à ne jamais regarder ailleurs alors que je voyais la vie s'échapper du corps des rebelles.

Quand est-il devenu moins cruel ?

- Prince Azref ?

Je lève les yeux, réalisant que je me suis à nouveau perdu dans ces souvenirs.

- Non, Sardor. Nous n'interviendrons pas, dis-je. Puisqu'ils adorent tant la famille royale d'Inimia, laissons-les en assumer les conséquences. Mais...

Je rassemble tous mes papiers, les mets de côté et me lève.

- Qu'y a-t-il ?

- Il faut trouver une bonne histoire de couverture, lui dis-je. Je vais y aller, évaluer la situation et voir comment je peux faire en sorte que la vérité ne parvienne pas à Inimia, pour ne pas leur donner des soupçons à eux aussi. Des journalistes étrangers devraient également être présents.

Je franchis la porte et quitte mon bureau. Je me dépêche de quitter le palais, je dois arriver le plus rapidement possible avant que les rumeurs ne commencent à se répandre. Je prends un de mes chevaux et m'élance sur la route de l'une des villes les plus proches, celle qui compte le plus de rebelles, bien entendu suivi par les gardes et Sardor.

Après un certain temps, j'arrive à la ville. Immédiatement, je remarque une grande agitation à un endroit précis donc je m'y rends. Comme je l'avais prévu, de nombreux journalistes étaient présents, décrivant tous ces rebelles comme des innocents.

Et à première vue, c'est vrai. Comme cette femme qui crie et pleure son enfant, enlevé par nos soldats. Ou ce jeune homme qui refuse de servir notre armée, qui refuse de servir ceux qui ont prétendument volé leurs terres. Ou ces maisons vides, après que nos soldats s'en sont emparés.

- Son Altesse est ici !

Je regarde tous ces gens. J'ai l'impression d'être entouré de mouvements flous permanents, d'être pris dans une danse non désirée. Tous ces journalistes, espérant répandre des rumeurs, voulant briser la paix du Royaume, se précipitent vers moi.

Ils me posent cette question tant attendue, cette même question qu'ils posaient il y a des années : "quels crimes ces gens ont-ils commis ?".

Je me souviens de la réponse de mon père. Je les regarde, les yeux dans les yeux, en laissant ma bouche prononcer des mots dont je me persuade qu'ils sont la vérité.

- Ce sont des terroristes, des sympathisants de terroristes. Dis-je, froidement. Nous les laissons vivre parmi nous et ils nous trahissent. Nous nous battons pour la sécurité du peuple d'Althea.

Et c'est tout. C'était tout ce dont ils avaient besoin pour partir, pour ne pas répandre ce qui aurait pu perturber ce pour quoi mes ancêtres ont œuvré toutes ces années. C'était tout pour que je m'éloigne de tous, pour que je retourne dans mon palais en ayant assuré la sécurité de mon royaume et le secret de la princesse d'Inimia.

L'ombre écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant